PourParler – Comment instaurer la confiance en négociation Christophe Caupenne

Bonjour à tous, je m’appelle Julien Pelabere, je suis négociateur professionnel. Mon métier est d’accompagner, former et assister des entreprises et organisations à la conduite de leurs négociations les plus sensibles et les plus complexes. Bienvenue dans Pourparler, le podcast de la négociation. Notre ambition est simple : vous donner des clés pour mieux négocier, mieux négocier pour un meilleur futur professionnel et personnel. Aujourd’hui, j’ai l’immense chance et honneur d’avoir comme invité Christophe Caupenne. Bonjour Christophe, comment tu vas ?  

Bonjour Julien, très bien, je te remercie.

Je suis extrêmement ravi de t’avoir, en plus je t’avais partagé cette anecdote il n’y a pas très longtemps, peut-être 7-8 ans, quand j’étais à la Sorbonne et que j’avais un peu de temps, à tuer, je m’étais retrouvé un peu perdu au centre Gilbert Joseph qui est un libraire et un des premiers livres que j’avais acheté, c’était Négociateur au Raid, c’est le livre que tu avais écrit et ça m’avait donné envie d’aller plus loin donc c’est un vrai plaisir. Est-ce que tu peux te présenter pour les gens qui ne te connaissent pas encore Christophe s’il te plait ?

Bien sûr. Juste une petite anecdote sur Négociateur au Raid, je l’ai écrit alors que j’étais commandant au Raid, l’unité d’élite de la police nationale. Je l’ai écrit parce qu’il n’y avait pas de manuel, en français, sur comment négocier avec des types en crise. Donc j’ai trouvé que c’était super intéressant pour tous les négociateurs de la police qu’ils aient à leur disposition un ouvrage français avec de l’expérience etc. et j’ai eu la chance d’avoir l’autorisation de l’administration, il a fallu quand même que je donne le synopsis et que l’on me dise ça oui, ça non, mais avec quand même une grande liberté malgré tout. J’ai de nombreuses années de police. 13 ans passés en police judiciaire en groupe de répression de banditisme et de groupes criminels. Là, j’ai appris l’humain et comment discuter avec des gens qui allaient peut-être prendre 20 ans de prison derrière, donc une très bonne expérience en matière de communication et déjà une forme de communication d’influence puisqu’arriver à obtenir des aveux, ça ne se fait jamais par la force. Vous l’avez compris, c’est toujours quelque chose qui est à forte valeur ajoutée parce qu’à partir du moment où quelqu’un nous apporte spontanément des éléments et se dit, en se résignant : ça y est, j’abats les cartes, à ce moment-là, on a de grandes chances d’avoir une enquête qui est bien construite, un magistrat qui peut bien juger derrière et quelqu’un qui est jugé également pour rendre des comptes à hauteur réelle de ce qu’il a commis avec des indulgences possibles quand les gens s’expliquent. Donc 13 ans en police judicaire, quasiment 12 ans au Raid, 11 et demi exactement, et un boulot passionnant. C’est un acronyme qui signifie Recherche Assistance Intervention Dissuasion. Il y a aujourd’hui 500 personnes qui sont au Raid avec à peu près 250 qui sont sur le Raid central à Bièvre, dans l’Essonne, juste en face de la base aérienne de Villacoublay, et tous les autres sont dans des unités déconcentrées qui sont avec de super professionnels et de négociateurs à l’intérieur, négociateurs que l’on a tous formés au Raid puisque j’ai eu le plaisir de commander la partie gestion de crise et négociation et de monter un Bac+5 reconnu au Répertoire National des Certifications Professionnelles, un véritable métier de négociateur de crise avec un passage par l’ensemble des sciences humaines. Globalement, rien n’était impossible, c’est ça qui était passionnant. Quand il a fallu bâtir le cursus, on pouvait aller frapper à toutes les portes, il n’y avait pas de tabous dans quelque domaine que ce soit et, bien sûr, beaucoup de choses faisaient partie de la psychologie, de la psychiatrie, de la socio etc. Il a fallu notamment que je parte à la fac de médecine pour faire de l’expertise mentale. On a beaucoup comparé nos techniques et beaucoup échangé avec des collègues étrangers qui avaient déjà des systèmes très performants en matière de négociation et finalement on a fait un outil très efficace puisqu’on avait 80% de taux de résolution par la négociation.

Alors qu’au début c’était beaucoup moins ? Vous étiez à quoi, 50 ?

Quand on est arrivé, l’ambition c’était 20% à peu près. Pourquoi ? Parce que tu arrives en dernière intention professionnelle et ça intéresse notre sujet : on ne peut pas créer de la confiance. Quand pendant 4 heures, un primo intervenant a discuté avec toi, t’a menti, t’a raconté des histoires, t’a promis la lune et finalement, ça ne marche pas, tu te doutes bien que derrière, tu as un négociateur de crise qui arrive et qui appartient au Raid, ce n’est pas parce qu’il est en tenue noire ou qu’il appartient au Raid que la résolution se fait. Elle se fait vraiment parce qu’il y a de la technicité pour pouvoir influencer les règles.

On va y arriver sur cette partie-là. Je trouve que ton parcours est génial parce que tu es un vrai passionné de négociation au-delà du poste que tu avais. Dans la notion police et négociation, pour moi, il y a ceux qui imaginent et ceux qui s’en souviennent et toi tu es clairement, pour dire les choses crûment, le taulier de la négociation au niveau police. Tu n’as pas été le premier à arriver sur cette cellule mais tu as été celui qui a tout structuré, qui a donné toutes les bases et qui a structuré ce métier avec de la méthodologie de négo. Ça me fait extrêmement plaisir de t’avoir parce que je sais que tu es un très fin technicien et on peut être un très bon technicien et ne pas être aussi très aguerri d’un point de vue théorique. Mais, pour le coup, tu as vraiment les deux donc c’est vraiment un grand plaisir d’échanger avec toi. Effectivement, on a pris un angle qui est celui de la confiance et je me dis ce n’est pas forcément évident parce que c’est exactement ce que tu viens de dire. C’est quoi déjà la confiance et comment est-ce que tu l’appliques dans ton univers, parce que, d’une certaine manière, au Raid, vous n’êtes pas primo intervenants, vous avez des gens qui sont déjà arrivés sur place et qui ont sûrement demandé au forcené ou à la personne qui est retranchée de sortir, comment est-ce qu’on recrée ce lien et comment est-ce qu’on arrive à travers des outils pacifiques à une solution pacifique ?

 En fait, la confiance c’est une espérance, une espérance qui fait que l’on va oser se fier à une personne, à un process, à une chose ou à une organisation avec une relative sécurité, un relatif sentiment de sécurité et donc on va s’abandonner un peu quelque part. Quand on est en confiance, il y a une notion d’abandon, c’est pour ça que beaucoup de gens, au départ, quand tu leur parles de la confiance, te disent : moi, spontanément, je fais confiance, mais il ne faut pas la trahir. Ils ont raison. Tout simplement parce que le seul moyen d’éprouver la confiance que l’on peut donner à quelqu’un ou à un système, c’est au fond, d’essayer. On voit si ça marche et si ça ne marche pas, à ce moment-là c’est fini. C’est terminé. La confiance est rompue. Donc ce sentiment et cette espérance se ferment. Beaucoup de gens se trompent en croyant que c’est de la naïveté. Ce n’est pas le cas. C’est un parti pris que l’on prend, c’est un risque que l’on prend, c’est une option que l’on privilégie par rapport à une autre de se dire je vais voir si au fond ça valait le coup. Mais c’est une énorme responsabilité pour celui à qui on accorde notre confiance et honnêtement, mon expérience humaine, c’est que dans près de 70% des cas, on est déçu. Les gens trahissent la confiance parce qu’ils confondent la gentillesse avec de la faiblesse, ils confondent la confiance avec la possibilité d’abuser, etc. C’est terrible ! Il y a des moments où l’on se dit que les gens sont des crétins. Ils ont un trésor entre les mains quand on leur fait confiance et ils vont le gâcher. C’est pour ça d’ailleurs – je ne sais pas si tu auras une question dessus – qu’au raid il était très important que l’on arrive à ne pas trahir la personne qui est en face.

C’est la notion de mensonge, de réputation pour vous. Je sais que c’est un sacro-sainte règle chez vous mais aussi dans le business pour moi : ne jamais mentir. Alors les gens seraient surpris parce qu’ils se diraient que la seule opportunité de t’avoir en face de soi, en dehors de la possibilité de t’inviter à un déjeuner, c’est de braquer une banque mais il y de grandes chances que je ne te croise qu’une fois et je sais que ta réponse c’est : pas forcément qu’une fois. Explique-nous pourquoi.

Typiquement, quand j’étais en police judiciaire, j’avais des criminels qu’on appelle des criminels d’habitude, c’est-à-dire des gens qui faisaient des petits séjours en prison de 6 mois, ils ressortaient, ils rebraquaient, ils refaisaient 6-8 mois en prison, etc. Quand ça se passe bien avec toi une fois, ça se passera bien les autres fois, tout simplement parce qu’il y a des gens qui sont dans une problématique de l’avoir, c’est-à-dire d’obtenir de l’argent etc., et il y a des gens qui sont dans une problématique de l’être et ce qu’ils aiment, c’est l’adrénaline, c’est braquer des banques, donc ils aiment bien avoir un mec super correct en face quand il faut passer à la casserole. C’est le premier aspect et le deuxième au niveau du Raid, c’est qu’on ne savait jamais, notamment quand il y avait des aspects de psychiatrie qui entraient en ligne de compte, si on n’allait pas, quelques temps après, retrouver la personne qui était sortie de l’hôpital psychiatrique, sortie des soins, et qui recommençait parce qu’il était à nouveau en rupture de traitement par exemple.

Et puis j’imagine que, même après, quand il se fait appréhender et qu’il arrive en prison, ça parle, et qu’en fonction de comment ça s’est passé dans la négo, ça se sait ?

 Tu as raison, c’est capital. Lorsque j’ai monté, avec les collègues du FBI en 2000, l’INWG – l’International Negociation World Group – on était une quinzaine de pays et tous les chefs de groupes négo que nous étions, de différents pays, on a tous mis sur la table que trahir une fois, c’était discréditer l’ensemble des négociateurs partout donc il fallait absolument que l’on reste sur quelque chose de correct parce qu’on obtient du résultat même si on ne ment pas. On peut faire du one shot, c’est une décision, mais en revanche, c’est un one shot.

Oui, en plus, toi, quand tu agis sous le nom du Raid, tu portes la marque Raid comme quelqu’un de Coca Cola porterait la marque Coca Cola et même 15 ans après, même si tu n’es plus dans l’unité, le Raid reste le Raid et la personne qui est reconfrontée au Raid ou à l’antenne Raid, pour lui, c’est la même chose. Ce sont des gens cagoulés en noir, avec un négociateur, et il sait à quoi s’attendre.

 Oui.

C’est vraiment intéressant. J’aime bien ta notion d’espérance, de prise de risque dans la confiance et tu me dis : moi, de mon retour d’expérience, sur tout ce que j’ai fait, parce que c’est plus de 300 crises au Raid et 7 entreprises parce que tu es chef d’entreprise maintenant – 70%, 2 fois sur 3, la confiance, tu la regrettes, elle a été trahie. Dans ce cas-là, est-ce que le 1 fois sur 3 crée suffisamment de valeur pour contrebalancer ces 2 déceptions sur 3 ?  

Je modère avec quand même une précision Julien. Beaucoup de gens vont jouer le jeu, c’est-à-dire être correct à partir du moment où tu leur accordes ta confiance. Par exemple, tu leur laisses de la liberté, s’organiser comme ils veulent, tu leur laisses des moyens sans forcément contrôler ce qu’ils font en te disant : finalement ils sont bons garçons, je n’abuserais pas et eux ne vont pas en abuser. Au début, ça marche et au bout d’un moment, la nature humaine, profiteuse, opportuniste, égoïste, va reprendre le dessus et à ce moment-là, ça dérape. Donc, finalement, on a un résultat qui n’est pas très brillant sur la confiance tout simplement parce que plus le temps avance, plus les paramètres changent. Ce que j’ai envie de dire, c’est qu’il y a un contexte qui, parfois, te donne de bonnes conditions pour la confiance. Par exemple, quand tu as un nouveau collaborateur qui est très épris de liberté et que tu lui dis : écoute, tu fais comme tu veux, tu prends le temps que tu veux, je me fous de savoir si tu bosses à minuit, par contre fais le boulot, il est super content ! Puis un jour, il se marie, il a la préoccupation de refaire une maison plutôt que de bosser, etc. Là, le contexte change et puis le temps fait évoluer tout ça. C’est à ce moment-là qu’on se dit quel dommage ! Quel dommage, alors que moi je suis toujours quelqu’un qui respecte cette notion de confiance. Quand on m’accorde sa confiance, il est hors de question de la trahir tout simplement parce que réellement, foncièrement, c’est un cadeau. C’est un cadeau que te fait la personne qui t’accorde sa confiance. C’est un petit trésor. Quand tu l’as, c’est une chance et quand tu as cette chance, elle répond logiquement à tous un tas de moteurs cognitifs que l’on a en nous et je pense que c’est la chose la plus précieuse ou du moins ça devient un devoir vis-à-vis de l’autre. Or, ce n’est pas le cas. Quand on est aujourd’hui avec des chefs d’entreprise, des équipes de direction, des concurrents ou autre et qu’on fait de l’assistance opérationnelle, ou quand j’étais au Raid ou à la Crim’, la très grande difficulté c’est que l’on est estampillé comme quelqu’un à qui on ne peut pas forcément faire confiance et donc tout le travail du début est un travail où on va s’acculturer à l’autre, on va chercher à créer du lien, on va s’adopter d’une certaine manière. On va s’adopter littéralement.

C’est génial, c’est intéressant. De ce que je comprends, dans ce que tu dis, c’est qu’en fait cette confiance, qui est un don, dans une temporalité trop longue, peut devenir un dû et l’autre ne la voit plus comme un cadeau et, d’une certaine manière, peut passer à côté, peut sortir du cadre, ce qui fait que cette confiance, on doit l’entretenir, on doit veiller à ce qu’elle soit toujours considérée comme une réciprocité, un échange de don à l’autre. J’aimais beaucoup cette notion de prise de risque parce que c’est vraiment comme ça que je la définis. Je crois que c’est le travail de Valérie Neveu qui dit que la confiance est un sentiment de vulnérabilité et d’interdépendance à l’autre. C’est-à-dire que quand je fais confiance, je deviens vulnérable et interdépendant, ce qui fait que quand j’accompagne des équipes de management, la confiance est généralement le crédo qui est écrit sur leur porte mais dès que tu les fais éprouver la confiance, ils ne sont pas à l’aise, ils ne la donnent pas comme ça parce qu’ils sentent que faire confiance, c’est s’en remettre, c’est de l’espérance dans ce que l’autre va faire. Je trouve que c’est génial. Face à un public où il y a une absence de confiance ou même de la méfiance, puisque quand tu arrives estampillé cagoule noire et Raid, on se dit qu’on ne peut pas lui faire confiance puisque son seul objectif c’est de m’appréhender et mon seul objectif c’est de sortir, c’est quoi les leviers que tu utilisais pour créer cette dynamique de confiance ? Ça passe par la première impression ? Ça passe par quoi ?

La première des choses que l’on doit faire, c’est une petite réflexion sur ce qui créerait de la défiance ou de la méfiance. Notre cerveau est un sifflet, tu le sais bien, tu es un vrai spécialiste du cerveau et tu sais qu’on recherche toujours ce qui peut potentiellement être un risque pour nous. C’est Jean Delumeau, professeur au Collège de France, qui disait avec un petit oxymore : la peur est notre pire amie. C’est intéressant parce qu’en effet, si on n’avait pas eu peur, on ne serait pas là aujourd’hui, on n’aurait pas survécu à tous les dangers qui sont autour de nous etc. Donc la première intention du cerveau, c’est la peur, c’est où est le risque, où est le danger. A partir de ce moment-là, alors que je suis dans une situation où j’essaye de créer de la confiance donc du positif, je sais que mon cerveau va en revanche très facilement lister les choses qui pourraient créer de la défiance : dire blanc, faire noir, ne pas respecter la parole, ne pas laisser d’espace pour que la personne s’exprime, ne pas lui laisser de liberté dans le choix, utiliser un vocabulaire qu’elle ne comprend pas, utiliser de l’ironie, se moquer etc. On est capable de faire une liste incroyable de choses qui pourraient créer de la défiance vis-à-vis de notre interlocuteur. Eh bien, j’aime cette image que l’on tire un trait au milieu de la page et on écrit l’inverse de tout ça : je n’accorde pas de temps / j’accorde du temps, j’ironise / je reste totalement neutre même quand la situation est plutôt grotesque, je n’utilise pas un vocabulaire accessible / je dégrade volontairement ma technicité de manière à pouvoir être intelligible pour tous, etc. Et dans cette nouvelle liste, j’ai plein d’idées. Alors ce n’est pas une recette miracle, mais j’ai plein d’idées sur les choses intéressantes à faire pour pouvoir justement me dire : avec cet interlocuteur-là par exemple, cette notion de liberté est super importante ou cet interlocuteur-là est de nationalité étrangère, il ne maîtrise pas super bien le français mais il fait cet effort pour moi de parler en français avec moi, il faut que je sois basique, simple, qu’il n’ait pas de difficultés là-dessus, je n’ai pas à essayer de briller avec un vocabulaire, une sémantique incroyable. Donc ça, c’est la première des choses, je cherche ce qui pourrait créer des obstacles à la confiance.

En fait, ce que tu essayes de faire c’est passer la barrière du reptilien qui pourrait percevoir la différence comme un danger, cette notion de peur, pour qu’il puisse totalement écouter ton message et créer de la relation avec lui ?

Oui. Deuxième chose, on a un problème en France, on a qu’un seul mot. Tu regardes les Anglais : trust, confidence. Trust, c’est : j’ai confiance dans mon matériel, j’ai confiance mon entreprise, j’ai confiance dans mon organisation. Confidence : j’ai en confiance en moi, j’ai la conviction, j’ai la certitude que, etc. Mais nous, on a tous mis dans une espèce de pot-pourri et le terme est vraiment bien choisi, on est complètement dans le sujet, c’est-à-dire que ça nous crée toutes les ambiguïtés possibles. On demande trop de choses à la confiance. La confiance, c’est une progression et ce n’est pas un résultat. C’est affreux parce qu’on l’interprète comme un résultat. On dit : je veux créer de la confiance, je veux qu’il ait confiance en moi ou je veux avoir confiance en lui, c’est-à-dire qu’on cherche un résultat mais en fait c’est une progression. Il ne faudrait être que dans une logique de progression. Si je dégrade mon vocabulaire de manière à ce qu’il comprenne alors qu’il est de nationalité étrangère, j’aide. Il ne sera peut-être pas d’accord avec moi, je n’arriverais peut-être pas à créer de la confiance mais c’est une étape. C’est une petite étape sur le chemin de la confiance et si je réfléchis progression plutôt que résultat, au final je suis gagnant. Pourquoi ? Parce que la facilité qu’il aura eu à interagir avec moi aura mis en place les critères de confiance dès lors que je ne connais pas certaines erreurs. J’ai deux acronymes qui sont complètement sur la confiance. Le premier c’est AMA ou MAZA, on le tourne comme on veut. Le premier A est celui des Autorités. Je dois avoir confiance dans mes autorités et mes autorités doivent avoir confiance en moi. Ça veut dire qu’on doit me laisser des responsabilités et je dois assumer pleinement ces responsabilités. Pour que mon chef ait confiance en moi, il faut qu’il me laisse la possibilité de lui montrer qu’il avait raison, qu’il pouvait le faire.

C’est le mandat ?  

C’est le mandat par exemple.

C’est un champ des possibles dans la négo.

Tout à fait. C’est également, toujours sur la notion d’autorité, le courage managérial. Je n’ai confiance en un chef que si ce chef est exemplaire, courageux, s’il montre la voie, s’il a une vision pour le futur, s’il nous donne les moyens. S’il est dans l’injonction paradoxale à longueur de temps : faites mieux avec moins, quelle confiance je vais pouvoir lui apporter ? Rien. On ne se rend pas compte des erreurs que l’on commet en termes de management avec ce genre de choses, c’est affreux. Ensuite, la justice. J’ai même envie de dire la reconnaissance. Combien de fois a-t-on été remercié pour ce que l’on faisait ? Les gens sont tellement jaloux, blessés dans leur égo de ne pas avoir eu l’idée eux-mêmes, tu passes ton temps à avoir des gens qui essayent de saboter ton travail parce qu’ils n’ont pas eu l’intelligence ou les capacités de mettre ces choses en place. Ça, ce sont les autorités. Il faut vraiment avoir de la confiance, que ce régime particulier avec les autorités puisse être complètement en place. Ensuite, le M c’est pour Matériel, matériel ou process. Pourquoi ? Parce qu’aujourd’hui, le nombre d’entreprises ou de dirigeants que je croise et qui me disent qu’ils ont des reportings qui ne leur servent plus à rien passent des jours et des jours à discuter de reportings qui ne servent à rien et ils ont des N-1, N-2 etc. qui passent leur temps à leur faire ces reportings-là au lieu de bosser. C’est une catastrophe. A partir du moment où les process ou le matériel ne sont pas adaptés et qu’on ne peut pas avoir confiance, c’est comme si je voulais partir faire de l’escalade avec une corde qui serait élimée, je me dirais : je ne peux pas avoir confiance dans ce matos. C’est la même chose avec un KPI qui n’est pas bon, qui ne sert à rien et qui fait faire des reportings auxquels personne ne comprend rien.

Ça peut être le produit vendu aussi dans ce que tu mets dans « matériel » ? Je vends un produit et je ne suis pas persuadé que le produit performe et apporte la valeur que je souhaiterais ?  

Logiquement, si je mets un produit sur la table, si je suis quelqu’un de correct, c’est que foncièrement je pense qu’il a une utilité et qu’il va rendre des services. Ce n’est peut-être pas le meilleur produit du monde mais il me semble que je suis honnête dans ma démarche. Si je suis honnête, intègre dans ma démarche, à ce moment-là – bien sûr il y aura toujours des gens qui diront qu’il y a mieux, moins cher, etc. – je pensais bien faire. Je suis sincère dans ma démarche et donc à partir de ce moment-là, on peut me faire confiance parce que je suis quelqu’un de sérieux.

C’est l’intention qui est louable.  

C’est l’intention qui est importante. Donc, autorité, matériel ou process. L’autre A c’est les Autres, c’est-à-dire ceux avec qui je bosse, mes partenaires, mes clients ou mon preneur d’otages. J’ai besoin qu’ils aient confiance en moi et ça reprend tout ce que l’on disait avant. Je laisse de côté les preneurs d’otages, mais par exemple mes collègues, il faut que je fasse de la cohésion avec eux, il faut que je vive des moments avec eux. Pourquoi est-ce que l’on a confiance dans une équipe ? Quand j’étais en police judiciaire, on travaillait par petite équipe d’une dizaine de mecs et quand tu étais derrière des braqueurs de banque et que tu allais les faire en flag, parfois on était 3 dans une voiture, très loin de l’objectif et on allait interpeler. Il ne faut pas que tu aies de doute sur le collègue d’à côté, il ne faut pas que tu aies de doute sur le fait qu’il va sortir le calibre et sauver ta peau si jamais ça se passe mal. Au Raid, c’était la même chose. Je veux bien prendre des risques et aller à la porte avec un type qui a un fusil qui est mis en face des yeux mais à condition que j’ai tout le groupe d’assaut ou le sniper qui me sauvera la vie si jamais ils se rendent compte que le gars va tirer. Donc cette nécessité de faire plein de choses avec les autres, de se connaître à travers le sport, à travers les relations sociales, à travers des sorties, est très importante. Et le dernier élément, le S, c’est pour Soi. La confiance en soi.

C’est la partie que tu appelais tout à l’heure confidence ?

Oui, c’est la confidence. Et trop souvent, on est toujours en train de regarder ce que l’on fait mal, on culpabilise, on regrette mais non ! Soyons indulgent. Par contre, cherchons toujours à nous améliorer, c’est important. C’est pour ça qu’il faut débriefer, faire de l’apprentissage, écouter ce que nous disent les autres, ne pas se braquer sur une posture. Mais la confiance en soi s’acquiert aussi par le fait de regarder ce qui est positif. En tant que commandant dans une unité d’intervention, ce qu’on te demande, quel que soit le poste que tu occupes, à partir du moment où tu as des galons sur l’épaule, c’est que tu redonnes confiance aux autres parce que tu as confiance en toi. Si on te voit tremblant, terrorisé par la situation, les gars ne vont pas avoir confiance du tout pour monter au charbon. Donc il faut bien que l’on assume la part de risque et que l’on regarde ce qui est positif avant tout. Ça c’est le premier acronyme : AMA.

C’est vraiment très fort. Donc il y a un principe de confiance dans le principe d’autorité, dans le mandat. On a vu la confiance dans le matériel, le process, qui nous permet de délivrer la mission, la confiance dans le collectif et dans l’équipe et la confiance en soi qui nous permet de nous dépasser dans ces moments de vérité d’une certaine manière.

Complètement. Et regarder ce qui est positif. La positive attitude c’est incroyable. Je suis quelqu’un de très positif et je pense que c’est pour ça également que je suis très créatif, parce qu’à partir du moment où on a de la détermination et de la volonté de faire, on peut faire des choses.

C’est un état d’esprit. Mais ce que tu dis c’est que c’est presque une discipline de vie. C’est au-delà de la motivation. Tout à l’heure tu as évoqué succinctement la notion de retour d’expérience pour capitaliser de ses succès ou de ses échecs, mais ça aussi ça participe à travailler sa confiance ou son estime de soi.  

Oui, complètement. C’est sûr que si l’on ne faisait que des débriefings d’affaires catastrophiques, on n’aurait peut-être pas beaucoup de confiance en nous. Mais quand on se donne la peine de débriefer toutes les affaires dont, bien évidemment, celles qui sont positives, on se dit : tiens, là on a eu un peu de chance, mais quand même, quand tu regardes bien, ce n’est pas que de la chance. On a été malins sur ce truc-là. On a su prendre le bon angle, on a su se taire au bon moment. Donc ça c’est le premier acronyme. Le deuxième, c’est vraiment un outil au service de tout le monde, c’est quasiment un outil universel : Bienveillance, Intégrité, Capacité. La bienveillance, c’est : je vous veux du bien. A partir du moment où on veut du bien à quelqu’un, il y a forcément ce processus de réciprocité qui s’installe. Et qu’on le veuille ou non. Quelqu’un qui nous veut du bien, on a du mal à montrer notre plus mauvais visage à son encontre donc c’est un formidable outil pour créer de la confiance. La bienveillance, dedans, je mets plein de choses, par exemple le respect, l’écoute, l’empathie. Toutes ces choses-là, c’est de la bienveillance Je suis à contresens aujourd’hui avec le podcast et la discussion, je suis dans l’inverse de ce que je fais d’habitude, je suis avant tout quelqu’un qui écoute. Un bon négociateur écoute vachement. Pourquoi ? Parce qu’il apprend tout de la stratégie de l’autre, il apprend tout de la vie de l’autre. Cette formidable qualité d’écoute, on l’a d’ailleurs sur notre badge du Raid : l’écoute est notre arme. C’était notre psychologue, Christophe Baroche, qui avait trouvé, à juste titre d’ailleurs, la nécessité de mettre cette devise, c’est dire la force qu’il y avait là-dedans. Donc OK, l’écoute est notre arme, en effet, et dans la bienveillance, offrir de l’écoute alors que les gens sont tellement en souffrance de se raconter. On le voit, les gens passent leur temps à mettre des selfies, à mettre leur vie sur les réseaux sociaux. Ils sont en mal littéralement de lien social, ils sont en mal de narcissisation. Quand on écoute, on leur donne cette possibilité-là. C’est très bien.

J’ai une question par rapport à ça. Je trouve que c’est génial ce que tu viens de dire sur la bienveillance : respect, écoute, empathie. Maintenant, question tricky, je comprends intellectuellement ce que tu viens de me dire mais je suis face à quelqu’un qui a commis l’irréparable dans ton métier ou face à un patron qui m’insupporte, comment est-ce que je peux faire preuve de bienveillance, d’écoute et d’empathie alors que je n’ai qu’une envie peut-être, c’est de ne pas négocier, de lui mettre mon point dans la figure ? 

Si j’ai un patron qui est insupportable en face de moi et que j’ai envie de lui mettre mon coup de poing dans la figure, ça veut dire que je ne suis peut-être pas fait pour la négociation. Ça veut dire que dans le comportement du bonhomme, il y a tellement de fragilités qu’il est sans arrêt à contresens de ce qu’il faut faire. Il fait l’inverse, mais pourquoi ? Il est lisible comme tout. Quand tu as fait un peu de psychiatrie, tu sais ce qu’est le narcissisme, la perversité, l’égocentrisme etc. tu sais où se situent ces choses-là, les gens qui ont des complexes de supériorité, des complexes d’infériorité, ceux qui sont passifs-dépendants, ceux qui sont king of the castle, etc. Toutes ces choses-là, tu les connais. Donc à partir du moment où j’ai quelqu’un comme ça en face de moi, je me dis : c’est un sujet d’étude donc super intéressant.

Prise de hauteur.

Prise de hauteur. C’est à moi de ne pas dysfonctionner avec ce genre de personnage donc comment est-ce qu’on doit prendre ce genre de personnage pour que, challenge, tout à coup j’arrive à obtenir du résultat avec lui. C’est top. Ensuite, mon preneur d’otage, parce que c’était ça la question de départ, comment on fait pour créer une situation où on va essayer de créer de la confiance avec le preneur d’otage ? Il faut bien voir une chose, c’est que les primo intervenants qui sont intervenus ont cherché à obtenir la résolution pacifique, ils ont cherché à faire poser le fusil et à libérer les otages.

Ce qui est louable.

 C’est louable sauf que c’est leur préoccupation à eux, leur objectif et ce n’est pas l’objectif du mec. L’objectif du gars, c’est qu’il veut qu’on trouve une solution parce qu’il a perdu la garde de ses gosses, parce qu’il va être expulser de chez lui, parce que sa femme s’est barrée avec son meilleur copain et il ne comprend pas parce que son meilleur copain est un looser, il n’est quand même pas moins bien que lui. C’est ça sa problématique. Donc tu vois la bienveillance vient vraiment de se situer à ce niveau-là. Je me fous complètement qu’il garde son fusil, je me moque qu’il garde son otage, si ça le rassure d’avoir quelqu’un, qu’il le garde. Par contre, pourquoi en est-on là aujourd’hui ? Qu’est-ce qui a dysfonctionné pour qu’on en soi là aujourd’hui ? Qu’est-ce que tu n’as pas été cherché toi qui prend des gens en otage maintenant ? Qu’est-ce que tu n’as pas été cherché pour résoudre tes problèmes et en quoi je peux peut-être aider ? A ce moment-là, c’est intéressant.

Si je comprends bien ce que tu disais, cette notion de bienveillance, c’est s’intéresser à l’autre, c’est l’écouter, chercher à solutionner son problème plutôt que solutionner son problème à soi. Et tout à l’heure, tu disais que c’était un séquençage, un processus le fait de s’intéresser à la confiance, ce que j’aime bien, et là tu ne t’intéresses pas au résultat, tu t’intéresses – je vais le dire avec mon vocabulaire – à être la meilleure version de toi-même à chaque round de négo sans te préoccuper de la conséquence qui sera une conséquence logique in fine ? 

In fine, si j’ai été bon, ça sortira, le gars posant son fusil naturellement. Après, on a des astuces pour le faire. On arrive à influencer certaines décisions mais ce n’est pas le sujet aujourd’hui. Foncièrement, c’est parce que le type aura compris que c’est dans son intérêt et c’est lui qui se dit : ça ne sert plus à rien, en fait je n’avais pas épuisé toutes les solutions. Tu le sors de l’impasse. Sortir la personne de l’impasse dans laquelle elle se trouve. Le gars est arc-bouté sur les prix, il ne peut pas, c’est impossible pour lui, il a l’impression d’être pris en otage, il n’a pas trop de solution, il ne peut pas baisser ses prix et on lui dit : tu vas perdre le contrat si tu ne baisse pas tes prix. Il faut regarder les choses sous un autre angle impérativement. Si ce n’est que la question du prix ou que la question de comment l’influencer pour qu’il dépose le fusil, j’ai tout faux.

Écoute, respect.

Et l’empathie. L’empathie parce que je crois foncièrement que chez les grands négociateurs, il y a un profond capital d’empathie. Si on n’est pas empathique, ça se sent. Je fais vraiment la différence entre l’empathie et le fait d’être victime de ses émotions. L’empathique est capable de comprendre ce qu’il en est en face mais bien sûr, il va contrôler tout ça. Si jamais je veux être dans l’émotion, je peux me laisser aller à l’émotion mais à condition que je me dise : mec, tu joues quand même volontairement la partie de l’émotion parce qu’elle va être utile dans le tableau à ce moment-là. Je la joue sincèrement dans ce cas-là mais c’est une partie qui est une partie du déroulement de mon plan. Par contre je suis sincère. Au moment où je la vis, je suis sincère.

C’est-à-dire que tu t’intéresses vraiment à l’autre mais que tu gardes ta lucidité pour ne pas basculer sur de la sympathie, pour ne pas éprouver la cause de l’autre sans distanciation. Je crois d’ailleurs que, poussé à l’extrême, c’est le syndrome de Stockholm. Si tu peux nous donner quelques mots sur ce syndrome.  

Le syndrome de Stockholm. 1974. Ollson, qui est un beau garçon, se fait enfermer parce qu’il braque le Crédit Suédois. Il se fait enfermer dans l’agence parce que la police arrive. Il a plein d’otages, il les sort, il garde 4 personnes avec lui, 3 femmes et 1 homme. Il n’y pas de négociateur professionnel à cette époque, donc c’est la police et le maire de la ville qui est en pleine période de réélection municipale qui s’en chargent. L’auto-expertise est un domaine terrible et le maire est complètement dans l’auto-expertise. Ollson exige qu’Olofsson, un complice à lui, vienne pour servir les négociations. Olofsson se retrouve enfermé avec lui. Ils se retrouvent à 2 preneurs d‘otages. C’est une cacophonie pas possible et une des femmes tombe complètement amoureuse d’Ollson, qui est un beau garçon et qui lui explique que, bien sûr, il ne la tuera jamais, qu’il vole les riches pour donner aux pauvres, qu’il est le chevalier blanc de service. Elle croit totalement ça et lorsque la police, au bout de 4 jours, donne l’assaut, elle va protéger Ollson de son corps, elle va lui payer un avocat en prison et elle va le demander en mariage ensuite. Et là, il y a un psychiatre qui s’appelle Ochberg qui dit : il y a quelque chose qui ne va pas dans cette histoire, il y a un truc pas net, donc il va se mettre dessus. Il identifie 3 paramètres sur le syndrome de Stockholm : une sympathie de l’otage vis-à-vis de son preneur d’otage et à ce moment-là on comprend bien que l’otage cherche un père de substitution, quelqu’un qui va le protéger, donc s’il est sympa avec le père de substitution, le père de substitution sera sympa avec lui. En effet, c’est ce qui se passe en réciprocité. Il y a un phénomène de sympathie du preneur d’otage vis-à-vis de l’otage, ce qui est tout à fait logique puisqu’au bout d’un moment il ne se voit plus la possibilité, le courage ou la légitimité de pouvoir tuer son otage. Et au final, comme il faut donner du sens à tout ça, on cherche un ennemi commun et l’ennemi commun, c’est la police ou les autorités. Donc on a ces 3 paramètres qui font le syndrome de Stockholm, que nous mettions toujours en œuvre quand on le pouvait au Raid ou au GIGN.

Respect, écoute, empathie, c’est vraiment cette notion de bienveillance, d’humilité peut-être, envers l’autre.  

Le I c’est pour Intégrité, on en a parlé tout à l’heure. C’est l’honnêteté. Au-delà de l’honnêteté, c’est bannir tout ce qui est la facilité, le sophisme, la rhétorique etc. toutes ces choses-là. On sait très bien que c’est faux mais on les utilise volontairement pour tromper. Les gens ne sont pas idiots, ils se rendent compte rapidement de ce qu’il en est. Au bout d’un moment, ils voient qu’ils ont été abusés et à ce moment-là, le ressentiment est le sparadrap sur le nez du capitaine Haddock. Ce ressentiment ne sort plus, on n’arrive plus à s’en défaire. Tu l’as enlevé de la figure mais il est encore sur les godasses. Ce ressentiment est vraiment un gâchis total. C’est pour ça que les négociateurs ne doivent pas mentir. On peut faire accepter plein de choses, il faut juste y mettre le temps souvent. Et le dernier c’est la Capacité. La capacité c’est : je suis la meilleure personne pour régler le problème parce que je connais bien le sujet, je suis celui qui est le plus légitime parce que j’ai le mandat ou je suis le plus légitime parce que j’ai l’expérience ou tout simplement parce que je suis passionné par ce genre de choses et j’ai envie de vous aider.

Capacité, capacité à solutionner le problème de l’autre indirectement.

Oui. Regarde, si tu as un gars que tu aimes beaucoup, tu as un problème avec ta voiture, tu es tombé en panne et tu as un super pote en qui tu as vachement confiance qui te dit : ne bouge pas, je viens. Il te demande d’ouvrir le capot, tu ouvres le capot. Il regarde dedans, il a l’air totalement perdu. Tu lui dis : mais tu as une idée de ce que peut être le problème ? Ah non, je n’y connais absolument rien, je n’y connais rien en mécanique, je suis désolé. Capacité : zéro.

C’est l’expertise sur ton secteur d’activité et on a tous, sur nos secteurs d’activité, une expertise qui est différente.  

Regarde le mal qui a été fait avec le Covid et des scientifiques des deux bords, professeurs de médecine, chefs de service d’infectiologie, qui se renvoyaient des thèses totalement inverses. Quel mal ! Quel mal !

Complètement. Le mal pour moi ce sont surtout les gens qui n’ont aucune expérience ni scientifique ni en médecine et qui donnent leur avis sur un sujet qu’ils ne maitrisent pas et en étant positionnés comme autorité ou sachant, ça biaise cette notion d’expertise.  

Oui, quand ils sont positionnés en tant que sachants alors qu’ils ne le sont pas, c’est désastreux bien évidemment. Et quand on s’aperçoit que ce n’est pas leur domaine, qu’ils sont journalistes ou économistes et qu’ils vont parler de santé, etc. Là, on peut se dire qu’ils feraient mieux d’aller s’occuper de leurs affaires. C’est comme quand on va commenter à la télé des prises d’otages et sur le plateau il y a un mec à côté qui n’a jamais tenu un calibre et qui n’a fait que des études universitaires, là tu as envie de lui dire : tu ferais bien d’écouter plutôt que d’essayer de parler.

C’est ce que je disais en introduction, il y a ceux qui imaginent et ceux qui s’en souviennent et pour le coup, c’est toujours plus simple pour certains d’imaginer, de s’inventer des vies. Je suis entièrement d’accord, surtout sur cette notion d’expertise. J’ai un sujet qui a fait écho, qui est en plus antinomique avec le monde de l’entreprise, c’est que, dans le monde de l’entreprise, on met beaucoup de pression aux commerciaux, aux fonctions commerciales, pour que ça close rapidement sur les objectifs de quarter, de semestre ou d’année, alors que ce que j’ai entendu dans ce que tu as dit, c’est que la confiance est un construit relationnel, ça prend du temps, ne pas aller trop vite, ne pas brûler des étapes et surtout, comme le primo-intervenant, ne pas faire l’erreur, pour l’entreprise, quand est-ce que vous signez, mais pour le forcené, quand est-ce que vous sortez, alors que c’est un construit. Il faut du temps pour créer cette dynamique de confiance ?

Tu te rends compte qu’il y a encore des gens qui apprennent par cœur des formules pour les régurgiter à des clients ? Des commerciaux qui régurgitent des formules à des clients. On leur a dit : il faut commencer par ça, ensuite tu vas là-dessus, tu racontes une histoire perso, puis tu fais ci, tu fais ça. Mais où est-ce que l’on voit que Monsieur X a les mêmes préoccupations que Monsieur Y ? C’est-à-dire qu’il y aura la même approche, la même manière de lui parler … Mais ce sont des fautes commerciales, ce sont des fautes techniques qui sont énormes ! Les gens n’en comprennent pas en fait ce qu’est la négociation. La négociation, c’est vraiment une adaptation à l’autre, c’est cette capacité d’adaptation à l’autre. Ce n’est pas convaincre. On s’en fout de convaincre parce que si jamais je convaincs mon voisin d’acheter ma bagnole et qu’il va ensuite voir un garagiste qui lui dit : mais non, vous n’allez pas acheter cette voiture, vous ne savez pas comment elle a été traitée, comment elle a été entretenue, venez chez nous, ce sont des occasions en or, c’est du sûr, pendant 2 ans, on prend tout en charge. Le garage aura convaincu le gars de l’inverse de ce que j’ai réussi à le convaincre de mon côté. Or, où est la force de la conviction là-dedans ? Aucune. Par contre, si je dis à mon gars : tu as rêvé de quoi et qu’il me dit : j’ai toujours rêvé d’avoir une Vectra de tel modèle parce que j’avais mon voisin et quand je le voyais débarquer avec sa Vectra… Et que je lui dis : tu ne sais pas ? J’en ai une dans mon garage. J’ai 3 bagnoles de collection et il y a une Vectra qui est super bien entretenue, tu veux la voir ? Liberté. Oui, je veux la voir et il tombe amoureux. La couleur. Puis la comparaison avec les autres voitures. Il s’est persuadé. Et là, je dis bon courage au vendeur de la concession pour lui vendre autre chose.

C’est un cheminement interne. Si je comprends ce que tu dis, je prends l’exemple de ton ancien métier, à aucun moment tu ne vas essayer de convaincre le forcené de sortir, par contre, c’est un cheminement interne qu’il va faire lui-même et il va comprendre que c’est la meilleure option qui s’impose à lui que de sortir et s’il sort, c’est parce qu’il en a envie, c’est le seul à se mettre en action à ce moment-là ?

Oui et en plus il faut que l’on ait le respect de ne pas montrer qu’on a compris qu’il cédait. Il faut presque l’accompagner sur les bonnes raisons d’avoir cédé.

Il faut qu’il ait la tête haute au moment où il va sortir c’est ça ? C’est génial.

Ouais. Le respect de l’égo. Un mec que tu essores sur un contrat, tu ne peux pas fanfaronner, ce n’est pas possible. Si tu le fais, c’est une énorme erreur parce que la personne trouvera le moyen de te le faire payer à un moment ou un autre. L’humiliation du moment sera terrible et ça boucle sur ce que l’on disait au départ, sur les gens qui gâchent tout, simplement parce qu’à un moment ils n’ont plus la lucidité de se rendre compte que tu continues à faire des choses pour eux par gentillesse mais pas parce que tu es faible.

C’est un vrai choix la confiance. De ce que j’entends c’est presque un choix stratégique qui permet de la simplicité, de la fluidité et de gagner du temps dans un collectif. Dans un collectif comme tu as pu le vivre avant au sein du Raid, c’est le levier qui permet la performance mais c’est un choix, ça reste avant tout un choix. Génial. J’ai l’habitude de finir avec une question, toujours la même, si le Christophe d’aujourd’hui devait rencontrer le Christophe quand il avait 20 ans, quel est le conseil que tu lui donnerais ?

Crois en ta chance. Tu as une bonne étoile, crois en ta chance. Si les choses n’arrivent pas, c’est qu’elles ne devaient pas arriver. Sois confiant.

Donc ça reste encore une notion de confiance.

Et suis ton intuition.

Génial, c’est vraiment passionnant. Un très grand merci pour ton temps, pour ton éclairage sur la confiance, vraiment cette notion de bienveillance, d’intégrité, capacité, c’est simple à retenir et c’est quelque chose que l’on peut utiliser au quotidien dans notre sphère familiale, personnelle, professionnelle et c’est totalement ce que tu as dit : on est responsable du cadre que l’on instaure dans l’interaction que l’on a à l’autre et si on met les conditions pour que ce soit plus agréable, on s’autorise peut-être in fine plus de performance. On peut avoir un accord malgré la méfiance ou la défiance mais il ne sera jamais aussi optimal que créer les conditions de la confiance. Et le but de la négociation, ce n’est pas d’avoir un accord, c’est d’avoir le meilleur accord possible pour soi tout en maintenant la relation à l’autre, donc c’est un sujet extrêmement important et tu l’as dit avec beaucoup de simplicité et c’était génial.

 Merci à toi Julien. Je suis très content d’avoir fait ce podcast avec toi. Tu es un super négociateur donc merci de ton invitation.

Un très grand merci, merci à tous et je vous dis à dans deux semaines pour un nouvel épisode de Pourparler, le podcast de la négociation. Merci !