PourParler – Comment amener l’autre à me dire oui ? Eric Blondeau

Qui je suis ? Je n’en sais rien, je crois que ça change tout le temps, c’est difficile d’arrêter une photo à un instant T, et de toute façon je suis ce que les gens voient et pensent, puisqu’on est en général, la moyenne des gens avec qui on évolue, donc déjà décrire une moyenne, c’est délicat, quand on n’a pas les quantités connues.

Ce que je peux donner, c’est plutôt le profil des gens avec qui je travaille. Je travaille dans trois domaines distincts, de compétences, premièrement le monde de l’entreprise où j’accompagne des COMEX,  des présidents, dans leur prise de fonction, dans la stratégie, les ruptures stratégiques, les environnements complexes,  leur gestion de crise et bien évidemment les négociations sur des fusions acquisitions ou des retournements de business modèle.

Deuxième champ d’action, c’est le sport de haut niveau, où j’interviens auprès de sportifs dans différents domaines, sports collectifs ou individuels. Par exemple en rugby, aujourd’hui j’accompagne, j’ai la chance d’accompagner La Rochelle qui est champion d’Europe, je vais travailler pour Fidji rugby pour la coupe du monde, j’ai l’équipe de France, un bateau hommes, et un bateau femmes, en forty niners pour l’équipe de France de voile pour les préparer pour les JO. J’ai d’autres sportifs, j’ai d’autres singularités telles que les personnes qui ont de très gros projets, j’accompagne une personne qui ne souhaite pas que je mentionne son nom, mais elle est candidate à être astronaute, donc c’est des personnages intéressants.

Et dernier pan d’activité, j’ai la chance d’accompagner certaines forces spéciales, notamment les cellules de négociation sur la compréhension des mécaniques comportementales, et particulièrement l’art et la science du questionnement, pour démêler des situations complexes à forts enjeux.

Ça parait large, distant, mais en fait les trois domaines de compétences ont un élément commun, c’est le cerveau et les mécaniques comportementales, et c’est là que j’ai concentré mes activités depuis presque 30 ans maintenant

 

Ça veut dire que sur des pans d’activité qui sont extrêmement éloignés comme la performance en entreprise, la performance dans le sport et la performance dans la négociation, les mécaniques de décision, ce sont les mêmes, quel que soit l’enjeu ?
Les mécanismes ne peuvent pas être les mêmes parce que chaque individu et chaque situation est absolument unique, en revanche, la mécanique est la même.  C’est-à-dire que ce que j’ai voulu faire avant de me lancer dans cette démarche, c’est d’essayer de comprendre quels étaient les invariants dans les prises de décision, et donc j’ai passé deux ans à lire en français, en anglais ce qui était écrit sur le cerveau et j’en ai identifié des invariants, quel que soient l’âge, le sexe la religion, les enjeux, il y a une mécanique qui est la même. Le contenu est unique puisque chaque personne a une expérience et des enjeux qui lui sont propres, mais la mécanique est la même. Et dans l’approche que j’ai développée, dans la performance et dans la négociation,  c’est comprendre les mécaniques de l’autre, les apprendre, et poser les questions qui font qu’il va lui trouver un intérêt pour lui à prendre une décision, à dépasser ses peurs, dépasser ses croyances.  Et donc c’est la mécanique universelle qui est le corps de mon approche

 

Pour les gens qui veulent explorer ton travail, tu as sorti un livre, il y a une dizaine de jours « hashtag négo, qu’oseriez-vous négocier si vous n’aviez pas peur ». Tu veux nous dire deux trois mots sur le livre ?
Le livre, c’est en fait un don que j’avais envie de faire de 25 ans de recherche, parce que je n’ai pas eu la chance, j’ai travaillé avec des milliers de personnes depuis plus de 20 ans, mais je voulais en toucher davantage. Et donc j’ai voulu partager une méthode, et aussi une compréhension de cette grille de lecture, donc j’ai essayé, la difficulté c’est que c’est un modèle complexe, et de le mettre dans un livre, ça suppose que de manière linéaire on soit capable de commencer à la page 1 et de terminer à la page 300 et quelques, en gardant une certaine logique linéaire, alors que la description du modèle est complexe. Mais le sous-titre du livre est pour moi le plus important, puisque ça touche la négo, mais c’est aussi la peur, et la peur est au centre de ce livre puisque j’ai essayé de la décrypter, de la décoder, et de donner des points de repère pour que chacun des lecteurs puisse se retrouver dans cette peur-là et comprendre qu’il en est l’auteur. La peur, ça n’existe pas, le danger existe, la peur c’est une construction mentale entre moi qui suis une personne unique et mon enjeu qui est une situation unique,  et donc l’individu crée une peur, et l’idée, c’est de comprendre comment elle agit sur mes comportements, et surtout comment la contourner, puisque si je change le regard sur la situation, je change mon comportement. Donc en fait la peur on peut la modifier,  bien évidemment hors pathologie grave, mais là l’objet de ce bouquin n’est pas de traiter de pathologie, mais de traiter de la vie de tous les jours

 

la peur, c’est une perception du danger, je vois une araignée, j’ai peur, toi pas, c’est purement subjectif, et pourtant ce que je vis est très réel
Oui, c’est ce qui est formidable, une fois que tu as pigé ça, la seule boite à images que l’on ait, c’est notre cerveau , donc on a l’impression de comprendre et de connaitre le monde entier.  Ma perception, ça devient ma réalité, je ne peux pas regarder l’image que tu as d’une araignée en ayant peur alors que c’est mon araignée favorite, et que moi, je dors avec tous les soirs, et je suis très content de l’avoir sur mon oreiller, et malheureusement l’araignée n’y est pour rien. Sauf que notre cerveau ne nous a pas été donné pour penser, il nous a été donné pour agir, et donc chaque fois qu’on a une information, qu’elle soit auditive, visuelle, gustative, ou même tactile, notre cerveau rentre en résonnance, dans le sens, non pas raisonnement, mais résonnance et sa fonction principale est d’agir derrière en réaction. Et en fonction de ton passé, de tes histoires, de tes expériences, le cerveau va rentrer en résonnance, et tu as raison quand tu as peur de cette araignée, et j’ai raison quand j’adore cette araignée, mais la chose, elle n’a rien demandé. Et quand on est en négociation avec l’autre, ça fonctionne de la même manière, c’est que le regard que j’ai sur toi fait la relation, et c’est ce que j’essaie  de décoder dans le livre, déjà d’apprendre comment et de quoi je suis fait, pour comprendre comment l’autre me regarde puisque le regard qu’il a sur moi est vrai pour lui, et même s’il pense que je suis un imbécile et que je n’en suis pas moi convaincu, en tout cas il va falloir partir  de son regard parce qu’il a raison à ce moment-là tel qu’il l’a pensé. Mais si je change son regard, je change son comportement, et c’est tout l’objet du travail que j’essaie de décrire

 

(communication formation)

 

C’est un peu la question piège de qui es-tu, la personne que tu es auprès de tes clients n’est pas la personne que tu es auprès de tes amis, de ta femme, et tes filles, on a tous des facettes différentes. Tu dis,  en fonction de mon histoire et de mon passé, ça va rentrer en résonnance avec le cerveau, dans quelle mesure ça veut dire que le passé impacte ma motivation à faire quelque chose ? c’est la temporalité qui me motive à l’action ? il y a une autre temporalité qui peut accompagner le changement ?
Déjà tu peux mettre du ET entre tes deux suppositions, et comme on est dans un modèle complexe, on est dans du ET avec plusieurs options. Qu’est-ce qui influence ma prise de décision,  c’est déjà ce que j’essaie de démontrer dans le livre et dans mes cours, c’est que 100 % de tes décisions viennent d’une projection mentale de la recherche d’un bénéfice future et/ou de la gestion d’un risque futur. Donc en fait c’est la projection mentale future, ta question est sur le passé. Le passé, c’est tes acquis, tes expériences, ce que tu en as fait, en tout cas l’étiquette que tu as collée dessus, c’est ta perception, tes émotions, c’est tes croyances, tes besoins et aussi le réseau de personnes que tu as logées dans ta tête qui sont toutes importantes pour toi et qui ont une influence sur toi. Aujourd’hui mon voisin de palier n’a aucune influence sur ton comportement, par contre il a une influence sur le mien, et donc il a une place prépondérante à l’intérieur. Toute cette grille de lecture, qui a 11 composantes, qui passent de l’intention à l’action, me permet de décoder les leviers qui sont influents. Pour certains c’est l’expérience, pour d’autres c’est la curiosité,  pour d’autres c’est la peur,  pour d’autre ça va être la croyance, et/ou le besoin, et/ou les autres, puisque comme c’est un système complexe, les leviers interagissent entre eux, et donc tu puises bien dans ton passé pour pouvoir te caler par rapport à une information qui est présentée devant toi et qui suppose que tu te positionnes et que tu agisses. Donc le cerveau a été programmé non pas pour penser, mais pour agir.

 

Ça veut dire que ce passé vient donner un prisme, des perceptions mais l’espace-temps dans lequel se trouve la cause déterminante des décisions, c’est bien le futur, cette projection qu’on va avoir, pour aller chercher un bénéfice ou éviter une perte. Il y a une phrase de Paolo Coelho que j’utilise beaucoup, « le futur a été créé pour être changé », je l’aime bien parce que le futur n’existe pas encore, ça veut dire que si je modifie la perception du futur de mon interlocuteur, je modifie son action et sa capacité à agir ou pas
Bien évidemment. C’est vraiment important de piger ça, quand j’ai compris ça, ça a changé ma vie, à la fois dans la performance, le management et dans la négociation. Puisque c’est une projection mentale,  ça veut dire qu’il y a de la place pour négocier, alors que quand tu me donnes les clés de ta voiture, je les ai dans les mains, mais je ne peux pas négocier avec les clés, elles sont un élément factuel. Et en fait quand tu prends l’analogie avec la voiture, quand tu mets le clignotant c’est pour un bénéfice futur, quand tu freines ou accélères, c’est pour un bénéfice futur. Quand tu invites quelqu’un à bord, c’est pour un bénéfice futur, quand tu refuses de le prendre à bord,  c’est pour un bénéfice futur.  Donc tant que tu n’as pas compris que 100 % de nos décisions viennent d’une projection mentale, et que ce n’est que le fruit du cerveau de l’autre, en fait il y a de la place, et si tu rajoutes des questions,  parce que dans les systèmes complexes, pour les résoudre, il ne faut pas enlever mais rajouter quelque chose, par le biais du questionnement tu rajoutes une situation et tu prends la main sur le cerveau de l’autre qui va devoir, par pulsion, intégrer ton information, ta phrase, ta question, dans son futur, et donc tu modifies son regard. Si tu essaies de le forcer, on ne peut pas motiver les gens, on peut les forcer, les dégouter, mais il suffit de les influencer par l’art et la science du questionnement pour créer un changement dans leur tête  qui fait que grâce à toi ils ont trouvé une option à laquelle ils n’ont pas pensé, grâce à toi, tu as ouvert un angle mort, qu’ils n’avaient pas imaginé, et en fait tu les aides, en changeant leur regard, à trouver des alternatives, qui augmentent la performance et augmentent la relation

 

ça veut dire que tu ne peux pas motiver ton interlocuteur, tu vas créer un espace qui va motiver sa décision, mais c’est la personne qui le fait. tu as une phrase qui est très forte, qui résume assez bien ton système, la seule personne qui va faire, c’est l’autre

Le moto que j’utilise, c’est comment faire pour que l’autre accepte librement, j‘insiste sur le librement, accepte librement ma proposition, en utilisant son mode de pensée. Et dans le librement, il y a toute la clé de la bienveillance, dans la performance et dans la négociation, c’est que je vais lui tendre des informations, je vais utiliser son mode de pensée, et en croisant les informations, en utilisant des paradoxes, un paradoxe c’est une clé extraordinaire parce que le cerveau ne peut pas le démêler, la première proposition est vraie, la deuxième proposition est vraie, mais les deux ne sont pas compatibles, et donc le cerveau aura une pulsion d’essayer de trouver une troisième réponse, car les deux ne sont pas incompatibles. Par exemple, tu es un papa attentionné, mais tu me dis que tu es attentionné et pourtant tu es en train de parler avec moi à cette seconde, comment tu expliques ça ?  Tu vois bien la difficulté, il faut que tu te démêles tout seul avec tes deux versions, oui tu es attentionné, et en même temps tu t’éloignes de tes enfants parce que tu me parles. Et ça, ça crée un bug mental, et ce bug mental est très bienveillant parce que tu vas trouver, pour donner du sens à ces deux propositions, une bonne raison de te justifier que tu les as embrassés avant et que tu vas les embrasser après. C’est formidable, parce que le cerveau répond à des pulsions, et donc plutôt que d’essayer de convaincre, ce qui n’a aucun sens,  parce que dedans il y a le mot vaincre, et on ne peut pas convaincre, mais je vais t’aider à trouver un axe qui est bienveillant pour toi, et qui respecte non seulement tes enfants, mais aussi la qualité de notre échange

 

quand tu essaies de convaincre, déjà tu imposes un point de vue, et tu pars du postulat que tu as raison et l’autre tort, et s’il se met en action ce n’est pas forcément ce qu’il y aura de plus bénéfique pour tout le monde.  Sur cette notion de bénéfice, tu disais c’est aller chercher un bénéfice futur, nous on part du postulat qu’il n’y a pas de don gratuit, dès que l’être humain fait quelque chose, il le fait dans une volonté d’obtenir quelque chose. On a une petite analogie, on dit que le négociateur est une sorte de dealer de drogue, il est là pour faire vivre des émotions et il donne sa dose à son interlocuteur, et la dose, c’est la dopamine, la cytosine, l’endorphine, la sérotonine. Dans quelle mesure tu penses que cette notion de pas de don gratuit, peut faire sens ?
Comme tu as le monde entier dans ta tête, en tout cas tout ce avec quoi tu es en contact, tout ce que tu fais, tu le fais pour toi. C’est-à-dire que même si tu donnes 10 euros dans la rue à quelqu’un tu le fais parce que ta représentation du monde à ce moment-là fait que tu peux, tu penses pouvoir transformer la vie de l’individu, et avoir une contribution. Mais le fait aussi que tu ne lui donnes pas le lendemain 10 euros, bien évidemment fait que tu n’es pas moins généreux, tu es simplement autrement cohérent avec toi-même. Donc 100 % de nos décisions sont orientées sur la représentation du monde tel qu’on pense qu’il devrait être, donc quand tu négocies en faisant un don, certains sont gratuits et spontanés, mais la clé de l’action du don, c’est ton intention, en latin, intendere, la direction dans laquelle tu vas.  Donc tu ne peux être qu’en cohérence avec toi puisque tu dis que quelqu’un qui a besoin de 10 euros dans la rue, aujourd’hui j’en donne 5 parce qu’hier j’en ai donné 10, je pense qu’il en a eu suffisamment, et tu vas te raconter toutes les histoires du monde. Donc il n’y a pas une seule décision, même avec la plus grande générosité, ou la plus grande violence, qui ne soit pas orientée vers toi. On a déjà parlé de radicalisation tous les deux, si quelqu’un tranche la tête de quelqu’un dans le désert, son intention est positive, bien évidemment la personne qui subit la chose, c’est dramatique et monstrueux pour nous, mais celui qui le fait, il a un bénéfice futur à le faire. 100 % de nos intentions sont positives, et donc bien évidemment elles sont orientées, et le don parait parfois gratuit,  mais il n’est simplement qu’en cohérence avec soi-même, par rapport à tes croyances, tes besoins, tes perceptions, ton passé, tes émotions et ce que les autres t’ont appris.

 

l’intention est toujours louable, en négociation, et il y a cette phrase, l’enfer est pavé de bonnes intentions, qui résume assez bien cette notion
Il y a aussi un article du Code civil qui dit qu’il n’y a pas de meurtre  s’il n’y a pas intention de tuer, et on comprend bien, et au golf c’est pareil tu peux toucher la balle au départ, s’il n’y a pas intention de jouer, on te permet de la remonter, par contre si c’était  un geste intentionnel…donc on voit bien la puissance de l’intention dans toutes nos actions.

 

c’est comme ça que tu résumes ton système, de l’intention à l’action
Oui, en tout cas, la grille parle de l’intention à l’action, et comment on peut raccourcir ce moment-là sans être pénalisé par des croyances qui sont obsolètes, par des besoins qui sont décalés, par des perceptions qui sont inappropriées, par des croyances qui n’ont rien à avoir avec la situation. Effectivement toute la grille de lecture est filtrée par ça.

 

on se met en action pour aller chercher un bénéfice, dans quelle mesure la peur peut soit nous sidérer, soit nous amener à une notion d’immobilisme, soit nous faire renoncer à ce bénéfice ? d’ailleurs a-t-on forcément peur ?
Tant qu’on est vivant oui, après je ne sais pas ! mais la peur fait intrinsèquement partie de la vie puisque sans la peur, la race humaine aurait disparu, sans la peur on ne serait pas capable de construire, d’aimer, de toucher, de vendre, de négocier. La peur est très aidante, bien sûr les deux leviers du curseur, c’est l’insouciance, c’est-à-dire, je n’ai pas peur, et la sidération, je suis tétanisé, je suis sidéré. Mais heureusement la peur au milieu est formidable, c’est elle qui va me permettre, par exemple, tu m’appelles, je vois ton prénom, j’ai d’abord peur en disant, qu’est-ce qu’il me veut, mais derrière, je décroche ou pas, donc la peur va déclencher une action, elle va amener une émotion qui derrière va déclencher une action. Donc la peur est la cause de tout,  c’est pour ça que c’est passionnant de comprendre la peur, parce que la peur, quand tu conduis sous la pluie avec tes enfants, elle est très aidante, parce qu’elle va t’amener du discernement, de l’intelligence, de la lucidité, et elle va te permettre de freiner parce qu’il faut freiner quand la grêle arrive, et elle va te permettre d’accélérer parce que tu auras moins peur. Donc la peur est la cause de 100 % de nos décisions puisqu’elle va puiser dans la grille de lecture une solution qui est la plus appropriée pour nous, qui sera le bénéfice futur. Donc la peur est la cause de nos décisions, et je trouve ça merveilleux, parce qu’on n’ose pas l’aborder, on a peur de nos peurs, alors que si on comprenait que la peur n’est qu’un reflet de la perception qu’on a par rapport au monde qui nous entoure et qu’on essaie de comprendre d’où elle vient, en la comprenant on comprendrait mieux les décisions que l’on est amené à prendre ou à ne pas prendre. Donc pour moi c’est une pâte à modeler que je chéris, la peur.

 

comment négocier dans ce cas-là avec quelqu’un qui a peur, et indirectement nous aussi on peut avoir peur dans le processus de négociation ? dès que je veux menacer l’autre, le contraindre, c’est ma peur, mon ego qui prend le dessus
Première chose, quelqu’un qui a peur, il a raison et il a 1000 raisons, et c’est lui qui a la clé de cette raison-là. C’est-à-dire que la proposition que je lui fais, il ne sait pas y répondre, premièrement, il est dans la méconnaissance. Deuxièmement, il n’a pas compris. Troisièmement, il ne veut pas l’entendre, il est dans le déni. Quatrièmement, tu vois il y a 1000 solutions, peut-être que derrière, tout ça lui rappelle une situation dans laquelle il a été heurté, maltraité, en fait il y a une glande qui s’appelle l’amygdale, qui a la mémoire de tous les évènements qui l’ont marqué, et quand il se retrouve dans une situation qui ressemble à ça, l’amygdale va déclencher un comportement en short cut, qui va dire, attention, tu es en danger. Donc quand tu es en contact avec quelqu’un qui a peur, j’ai besoin de comprendre.

Et deuxième question que tu me poses, c’est quand j’ai peur. Quand j’ai peur, ça veut dire que je m’invente une histoire parce que je ne connais pas l’autre et je ne sais pas à quoi il pense, donc la clé dans les deux premiers cas, c’est le questionnement. C’est là que le questionnement est intéressant, parce qu’entre deux personnes qui ont peur, notre questionnement va venir éclairer la situation avec une autre solution, et ça me permet de comprendre quelle est la cause de la peur de l’autre. Est-ce du rejet, de la méconnaissance, est-ce qu’il a du mal à se projeter avec ma proposition dans un futur, donc je vais devoir l’aider, et mon questionnement en disant, quelles sont les raisons qui font que vous offrez une certaine résistance à ce moment-là. Et les raisons, c’est lui qui va me les donner et de toute façon il a raison, s’il me ment,  je continuerai avec son mensonge, s’il est franc, de toute façon je continuerai avec ce qu’il me dit. Et le mensonge ne résistera pas au questionnement.

 

si je questionne l’autre, je vais diminuer sa peur
Non je ne vais pas diminuer sa peur, je vais essayer de comprendre quelle est la cause de sa peur

 

dans ce cas-là comment diminuer sa peur ? et moi vu que je suis le propre auteur de ma peur, est-ce que je peux m’auto questionner ? Est-ce que l’autre va devenir mon aide ?
Tout à fait, de toute façon en te questionnant, tu vas être l’auteur  de ta réponse, et c’est là qu’on tourne en boucle quand on est tout seul, et dans l’approche que j’ai développée, justement, je me dis, puisque je ne connais pas l’autre, je serai dans le scare, c’est-à-dire que si je ne cherche pas à comprendre ce qu’il me dit, c’est mon cerveau qui va interpréter en fonction de qui je suis, et chaque fois que l’on a peur, on parle de soi, et on va puiser une solution dans son passé. Donc pour éviter d’être dans ma peur à moi, négociateur, le questionnement est une arme, un outil, un levier absolument extraordinaire puisque je vais me déplacer dans sa tête,  et donc, dans sa tête, je serai dans le care et je ne suis plus dans le scare. Le care, c’est ce qui va me permettre de comprendre d’où il parle, et comment il parle et plus je vais comprendre ces leviers-là, plus mes propositions vont amener des clés pour adoucir ses peurs, puisqu’il en est l’auteur ,mais  en amenant des réponses et des questions, je l’aide à revoir le scénario tel qu’il ne l’avait pas vu jusqu’à présent. Bien sûr en soulageant par mes propositions, si je change son regard, je change son comportement, donc c’est une posture de care, par le biais du questionnement qui m’empêche de rester dans mon scare à moi donc d’être dans ma peur, parce que ma peur va demander à l’autre inconsciemment de venir l’adoucir, or ce n’est pas l’objet de la négociation.

 

si je change son regard, je change son comportement, si son comportement change, la situation évolue, et après je rentre dans quelque chose où la situation évolue, ça change son comportement, etc.  après c’est une prophétie autoréalisatrice, ou un cercle extrêmement vertueux
C’est vertueux tant que tu es dans le care. Si par malheur, ton ego, puisque c’était ton troisième point, veut avoir raison, veut dominer, malheureusement tous les efforts que tu as faits pour ouvrir le champ des possibles dans sa tête sont ruinés par l’envie d’avoir raison et de dominer. Or tout le livre est écrit pour démontrer qu’on peut faire autrement qu’utiliser l’ego, la menace, l’autoritarisme, mais en utilisant l’intelligence, par le biais de la grille de lecture de l’autre.

 

dans quelle mesure l’ego voudrait reprendre le dessus, c’est parce qu’il a peur ?
L’ego est le bras armé de la peur, c’est-à-dire que tu as toujours peur parce que tu es vivant, et je te souhaite d’avoir peur très longtemps, et à un moment donné, quand la peur fait que tu ne contrôles pas, l’ego va essayer de dominer. L’ego va prendre plutôt que de donner, or le questionnement, c’est un don, et il va  poser des questions à la con telle que, ne penses-tu pas que, est-ce que j’ai raison si, ne devrait-on pas, et en fait, toutes ces questions sont mues par le scare, par la peur, et qui veulent reprendre la main sur la négociation, parce qu’on a peur, or négocier c’est danser avec l’autre, danser avec sa capacité à réfléchir, et plus on rajoute des éléments, plus derrière on ouvre le champ des possibles dans sa tête. Comment faire pour que l’autre accepte librement ma proposition en utilisant son mode de pensée, pas le mien

 

les deux exemples de questions que tu as eus, ce sont des questions dont la réponse n’intéresse que celui qui l’émet
Oui, pour avoir raison, ne penses-tu pas que, ne devrait-on pas, ai-je raison si. Non seulement ça te ridiculise parce que tu donnes tes vulnérabilités, mais en plus tu perds la main puisque tu demandes une approbation à l’autre.

 

tu dis, on tourne en boucle quand on est tout seul, dans ce cas-là ça répond d’une certaine manière à peut-on négocier quand on est tout seul, ou négocie-t-on avec soi même

La négociation avec soi-même, on le fait tout le temps, tu es sans arrêt dans un arbitrage. Tu arbitres entre tes besoins et tes croyances,  tu arbitres entre tes perceptions et tes émotions. Par exemple, j’ai peur de ça, mais j’ai besoin d’y aller, j’ai besoin d’y aller, mais je crois que ça ne se fait pas, et pourtant dans le passé, j’ai eu une expérience où ça a marché. Donc tu es dans un arbitrage permanent, tant que tu es vivant, est-ce que je me lève ou je reste au lit ? Je me brosse les dents ou je prends un PDJ avant ? On est en arbitrage permanent. Sauf que c’est là où on se piège parce qu’on est à la fois l’auteur de nos réponses et de nos questionnements et c’est formidable, quand je rentre en négociation avec quelqu’un qui négocie avec lui-même, le questionnement, puisqu’il ne peut pas ne pas y répondre, il m’invite dans le débat, et il m’invite dans ses arbitrages, puisque son cerveau ne peut pas ne pas répondre à une question, ou alors il faut qu’il se mette les deux doigts dans les oreilles, et qu’il n’entende pas ma question.

 

est-ce que tu peux développer ce concept, tu en parles dans le livre, et il est puissant, si je te pose une question, ton cerveau ne peut pas ne pas réfléchir à la réponse. Tu peux ou pas me donner la réponse, ce n’est pas très grave, mais toi, tu as forcément dans ton univers, dans ta représentation qui est dans ta tête, une réponse
Par exemple si je te demande, en dehors de tes enfants, quelles sont les deux personnes, sauf ta femme, qui ont de l’influence sur toi aujourd’hui en dehors du travail. Tu es en train de chercher, donc ça veut dire que tu ne peux pas ne pas répondre à la question, et pourtant j’ai tout mélangé, ton travail, ton épouse tes enfants, et j’ai parlé d’importance, et derrière, ton cerveau… c’est pour ça que Google a été génial, parce que dans  File runk ( ?), leur logiciel de base, ton cerveau est structuré de la même manière, il suffit que j’aille chercher ce qui est important pour toi, tu mords à l’hameçon que tu m’as tendu toi-même, qui est, puisque je parle de toi et de ton monde à toi, tu vas chercher des réponses qui sont les tiennes, et je n’ai aucune idée  de ta réponse, mais je m’en fous, tu vas me la donner, mais tout d’un coup j’ai un degré d’importance, et je viens d’apprendre le prénom de deux personnes qui sont importantes pour toi. Et à partir de ça, je vais t’aider, t’accompagner pour que tu réussisses ton projet.

 

c’est-à-dire qu’à travers ton questionnement je vais pouvoir avoir une projection du futur qui va évoluer
Bien évidemment, tu n’avais pas pensé à ces deux personnes-là, tu me dis, je ne peux pas en parler à ma femme, mes enfants ne comprendront pas parce qu’ils sont trop petits, quelles sont les deux personnes avec qui  tu pourrais en parler, et tu  n’y avais pas pensé, ils n’étaient pas présents à ce moment-là, en revanche, quand  je demande deux personnes, tu en as au moins deux dans ton environnement et les plus importantes qui pourraient t’aider pour ton projet, tu vas les trouver. Par exemple, un oncle et mon expert-comptable à qui je fais confiance. Si on parle de l’expert-comptable, comment pourrait-on avec lui imaginer que, et c’est parti. Mais je me sers de ton répertoire, je ne vais pas dire, tu devrais contacter mon expert-comptable, tu t’en fous.

 

tu n’imposes pas un point de vue, tu fais en sorte que librement je puisse me mettre en action par rapport à ce référentiel, et si ça fait sens dans mon référentiel, et que mon ego n’est pas menacé, je n’ai aucune raison de ne pas y aller.
C’est très intéressant ce que tu viens de dire, je le dis à un moment donné, c’est que… Imagine qu’un jour, parce que je sais que tu as déménagé, tu invites une dizaine d’amis dans ta maison et qu’un arrive en disant, Julien, comment avez-vous pu mettre la SDB à cet endroit-là, ça ne se fait pas, et j’espère que cette peinture on te l’a donnée, que tu ne l’as pas achetée. Et comment tu fais cuire ton gigot, ça se fait cuire de telle manière et pas à telle heure, et qui tu as invité, on n’invite pas ces gens-là ! c’est-à-dire, quelle est la chance que tu réinvites cette personne-là dans ton futur ? En fait, toute la posture de négociation chez moi,  c’est que je me considère comme un invité chez l’autre , je suis invité, c’est-à-dire que jamais je ne vais juger, jamais je ne vais émettre une opinion qui est la mienne dans son appartement mental, sa maison ou son monde mental, parce que je suis un invité, et j’ai envie d’être invité encore. Donc cette posture permet de faire que tu restes invité dans la tête de l’autre parce que c’est une posture bienveillante et augmentante, et bienveillante ça ne veut pas dire naïf, et benêt, ça veut dire que je respecte, parce que je veux négocier, je respecte que si je ne suis pas invité dans ta tête, derrière nous allons rentrer en confrontation, et là on est sorti de la négociation.

 

C’est là où tu peux avoir un shift de bénéfice. Autant tu vas avoir des gens qui vont négocier au départ pour aller chercher le maximum d’une situation et quand ils se sentent touchés dans leur ego, froissés, abimés, le bénéfice peut aller chercher autre chose que le maximum de la situation, mais d’aller chercher à se donner raison. Et pour se donner raison, de sortir de la négociation ou d’aller chercher un accord moins disant pour moi à partir du moment où je fais souffrir l’autre davantage, et ça devient complètement irrationnel
Oui bien sûr, l’humain est suffisamment pervers pour jouer à ça, mais ce n’est pas l’objet du travail qui est le tien ni le mien

 

Comment je peux amener l’autre à me dire oui, alors qu’il m’a dit non ?
Déjà s’il t’a dit non, c’est qu’au moment où il l’a dit, le non, comme tu le sais,  le non est ma meilleure réponse à ce moment-là.  C’est-à-dire que quand tu m’as proposé une banane, et que je te dis non, c’est que le non est une réponse, une conséquence à un autre bénéfice futur, c’est que j’ai trouvé dans ma tête une raison de dire non à ta proposition. Le fait qu’il m’ait dit non m’ouvre énormément d’options pour essayer de trouver ce qui fait qu’il apprécierait une proposition.  Et donc, je n’abandonne jamais, pour moi le non est une réponse à un instant T, quand il a fait cette projection mentale, c’est la meilleure réponse qu’il avait. Donc en ouvrant par le questionnement, je peux lui demander quelles sont les options qui auraient permis d’obtenir un oui, ou une ouverture, et en allant taper dans les à-côtés, c’est-à-dire dans les paradoxes, il va peut-être me dire, ben oui, hier, je ne pouvais pas parce que j’étais pressé, hier je n’avais pas les 10 euros qui allaient bien, hier je n’étais pas avec les bonnes personnes, je n’avais pas la liberté de vous répondre. Donc en fait le non est très intéressant parce que je vais le rebalancer en augmentant ma proposition, et je m’offre une possibilité qui m’offre un oui. Donc comment il m’offre un oui ? C’est très simple,  c’est qu’il dira oui parce que c’est bon pour lui, c’est-à-dire que, quand par exemple je veux être recruté par quelqu’un,  personne sur la planète n’a été recruté grâce à son CV, il a été recruté parce que la lecture du CV fait que l’individu a intégré cette lecture-là avec sa perception des lignes qu’il avait sur le CV, il l’a projeté dans ta problématique qui était la sienne, et il a recruté la personne parce que c’était bon pour lui. Donc c’est se leurrer que d’arriver à un entretien, de négocier un entretien pour un recrutement en disant, je suis chargé de diplôme, j’ai tout fait, tout compris, tout lu sur le web, le type s’en fout, tant que tu ne l’aides pas et tant que tu ne l’augmentes pas dans son bénéfice futur.   Ça marche avec une banque, avec une négociation, un fonds lors d’une levée de fonds ou lors d’une négociation, quelqu’un va lâcher parce que c’est bon pour lui, il va passer du non au oui parce que c’est bon pour lui. C’est cet espace-là dans sa tête que je vais ouvrir par l’art et la science du questionnement, par les influences, c’est-à-dire en rajoutant des éléments auxquels il n’avait pas pensé, qui vont changer son regard sur la situation. Donc le non du passé était un non absolument vrai et indémontable, et je ne vais certainement pas le challenger, et je vais ouvrir vers d’autres oui potentiels, et le non est toujours un acquis dans ma poche, c’est-à-dire qu’à un moment donné, le type peut me dire non, il n’en a pas envie. Si je t’offre 10 bananes, la onzième tu n’en auras peut-être pas envie, un super PDJ, ou tu as passé 10 jours dans un espace, le onzième jour est de trop. Donc le non fait partie de la négociation et pour moi il est louable, chérissable, au même titre que la peur.

 

le non m‘est acquis, c’est-à-dire que je ne dois pas être surpris à n’importe quel moment de pouvoir l’entendre, ou de pouvoir aussi le dire de mon côté
Si je suis surpris par un non, c’est que je suis dans mon ego. De quel droit puis-je prétendre que mes propositions seront acceptées ? Donc en fait je ne négocie pas, c’est que j’ai peur du non. Le non est déjà acquis, il est dans ma poche, et je ne vais même pas batailler là-dessus, je ne peux pas avoir peur du non parce que moi-même je m’autorise à dire non.  Donc le non fait partie de la négociation, et il est très intéressant. Quand je veux vendre une maison une voiture ou mon entreprise et que j’imagine que les gens vont regarder mon bilan en disant,  il ne peut pas dire non parce que j’ai une rentabilité de 15 points dans un monde qui est complexe, je suis un gros fou, parce que peut-être que le type ne peut pas l’intégrer, peut-être que ça ne matche pas avec son business modèle, peut-être qu’il n’y a pas de place chez lui, donc le non fait partie de la chose. Et je vais même questionner ton non,  j’en ai besoin de tes non, parce que si tu me dis oui, je ne sais pas si c’est un oui pour me faire plaisir, ou un oui parce que tu n’as pas compris, ou un oui parce que tu as peur de me dire non, je ne sais pas si c’est un oui stratégique, je ne sais pas si parce que tu as dit oui, tu vas agir, donc moi je préfère les non.

 

le non est beaucoup plus clair, ce n’est qu’une décision qu’on peut faire évoluer. Il y a beaucoup de passages dans ton livre qui sont extrêmement forts, j’ai lu des centaines de livres sur la négo, et pour moi c’est le meilleur ouvrage en français sur la négociation, et il y a plein de pépites qui sont incroyables, mais tu as une phrase qui est très forte, « on est 100 % responsable de 50 % de la relation », est-ce que tu peux nous en dire un peu plus sur ce qui est quasiment de l’ordre du principe, sur cette idée
Quand j’ai tracé cette ligne-là, c’était très important,  parce que comme je te connais, tu fais partie de mon monde, et je ne m’en rends même pas compte. Ça veut dire que tu as une place dans, tu as parlé de l’ocytocine qui est l’hormone de l’attachement et de la confiance, c’est-à-dire que la représentation mentale que j’ai de Julien dans ma tête, elle fait partie de mon monde. Donc tu existes dans ma tête, et si je ne fais pas l’effort conscient de te dissocier dans une négociation, quand je vais te demander de me prêter 15 euros, en fait je réponds à ta place, parce que je t’ai intégré dans mon monde. Et donc je me mets une barrière mentale qui est très , très forte chez moi, c’est que je suis 100 % responsable de 50% de la relation, c’est que je te laisse ton autonomie et ta responsabilité. Si je franchis cette barrière de 50 % de la relation, en fait je te déresponsabilise, et dans la négociation, je ne veux pas porter cette charge, or,  notre ego, veille,  et s’il peut te déresponsabiliser pour te prendre ta décision qui irait dans le sens de protéger mon territoire, donc d’ignorer la personne que tu es et que tu es libre de dire non, en fait, je vais forcer le trait, et ça, c’est un peu mon pare-feu. C’est-à-dire qu’en étant 100 % responsable, ça veut dire que je te laisse ta responsabilité, mais moi je prends la mienne,  je vais m’engager pleinement dans notre relation mais j’ai une ligne infranchissable qui est 50 % de la relation et je laisserai la tienne. Ça veut dire que dans la négo, si tu te déresponsabilises, je vais te questionner pour que tu viennes prendre tes responsabilités dans l’engagement qui va être le tien, en fusion acquisition, en négociation traditionnelle, si tu veux acheter mon appartement, à un moment donné je vais te faire prendre la responsabilité, et je ne vais certainement pas ni signer à ta place, ni faire quelque chose qui te déresponsabiliserait.

Donc cette phrase-là est un pare-feu pour moi qui est devenu une vraie discipline et d’ailleurs, quand on le regarde comme cela, c’est beaucoup plus confortable, c’est-à-dire que je refuse de prendre tes responsabilités. C’est très tentant, parce que mon ego va prendre ma main et va te faire signer en bas de la page, mais derrière ça veut dire qu’en te déresponsabilisant, je prends le risque que tu viennes casser le deal qui est le tien, or, ta responsabilité, ta signature qui est en bas, ça veut dire que tu as fait le tour dans ta tête, de tous les bénéfices futurs, de toutes les objections, et que tu signes en conscience, puisque la signature en bas du contrat sera un acte raisonné et je t’aurai aidé à filtrer les croyances, les besoins je t’aurai aidé à filtrer que personne dans ton entourage ne viendra objecter, s’ils sont ce que j’appelle les parties prenantes,  c’est-à-dire que je mets au-dessus de ta tête les parties prenantes qui sont importantes. Par exemple si je te vends un appartement et que tu n’en as pas parlé à ton épouse, et que tu  es très content de l’acheter et que tu as peur d’en parler le soir, derrière, tu reviendras et tu te rebelleras. Or, je vais faire rentrer les référents qui sont dans ta tête dans le questionnement, mais je ne t’influencerai pas pour que tu signes, je vais t’influencer pour que tu y réfléchisses et que tu signes parce que c’est bon pour toi.

 

donc tu ne me déresponsabilises pas, mais, et c‘est la force de cette idée, toi  tu ne te déresponsabilises pas, c’est-à-dire que sur tes 50 %, tu en es totalement responsable, et tu vas t’efforcer d’être pleinement investi, d’être  la meilleure version de toi-même
Ça va loin en termes d’exigence, cet après-midi j’étais avec un client sur un gros deal, et je l’ai aidé à prendre sa responsabilité, quelque part elle a eu peur, sur un dossier de fusion acquisition, de montrer une de ses vulnérabilités dans le process qui était le sien. Et en fait, ne pas en parler, c’est irresponsable, or j’ai des choses à dire, et puisque je prends ma responsabilité, j’ai envie de lui montrer qu’il y a un process en fabrication ou un process en réparation, parce que je n’ai pas envie de bluffer, de mentir. Et dans la notion de confiance qui est très importante pour moi, il y a 6 critères que sont l’authenticité, la loyauté, je ne mens pas,   je respecte les règles, je suis compétent, je suis ouvert au changement parce qu’on est dans un système complexe, je suis disponible pour toi, et je vais créer une relation temporelle, donc je refuse de mentir. Et donc ça veut dire que je prends mes responsabilités, je ne suis pas coupable, je suis responsable, si j’ai oublié quelque chose, je prends ma part de responsabilité dans la négociation en disant, je me suis trompé. Et ça, c’est très important, en tout cas dans le modèle qui est le mien.

 

ces 6 critères de confiance, je les ai découverts, j’ai vraiment aimé, ça a beaucoup de sens. De ce que j’en ai compris, on est vraiment sur de l’ordre des valeurs de l’individu, totalement applicables au quotidien
On n’est pas dans des valeurs, on est dans des actes, et c’est ça qui est intéressant, c’est que everything you do matters, ce sont des actes et des faits. Bien sûr il faut y mettre des mots étiquettes, mais ça veut dire que je refuse de mentir,  je refuse d’être incompétent, de transgresser les règles, de ne pas être agile dans le sens, ce mot-là me gonfle, mais ouvert aux changements, je refuse d’être   imprévisible, et je refuse de ne pas être disponible. Donc c’est bien,  non pas des valeurs, mais des actes et des faits, parce que si on parle des valeurs, et je ne doute pas que tu l’ais vu dans le modèle,  les valeurs sont des mots étiquettes qui ne montrent pas nos points forts mais qui montrent nos vulnérabilités. C’est pour ça qu’on met autant d’énergie là-dessus, donc les règles de la confiance ce ne sont pas des valeurs mais des actes, c’est la façon dont j’influence le regard qu’a l’autre sur moi. Et en fait la confiance ça n’existe pas, comme la peur n’existe pas, mais plus j’ai peur et moins j’ai confiance, et moins j’ai peur, plus j’ai confiance, donc les 6 leviers que j’ai confiés dans le livre, me permettent de ne jamais injecter la peur dans l’autre, parce que si je le fais, j’empêche qu’il ait un bénéfice futur qu’il (qui ?)  m’amène, puisque je deviens un élément répulsif. Donc les 6 leviers, ce sont des leviers où je refuse d’en activer un seul qui va injecter de la peur, parce que tu peux être authentique, loyal, compétent, ouvert aux changements, mais si tu n’es pas disponible, tu as de la peur, or dans la négociation, je dois rester disponible. Si tu mens, tu rajoutes de la peur, donc c’est une approche exigeante. Je ne dis pas que je dis tout, dans la négociation je ne vais pas donner mes marges, ni clairement toutes mes intentions, mais quand j’ai ouvert la bouche et que j’ai dit c’est comme ça, je ferai ça et je serai là à telle heure, nous allons parler de ce sujet et nous allons traiter telle clause dans tel contrat, on va faire ça, je n’ai pas d’intention masquée là-dessus, parce que je sais que sinon, si son ego le découvre, je vais me trimballer avec un peureux, et négocier avec un peureux, c’est casse bonbon.

 

ça veut dire que pour diminuer la peur chez l’autre, j’injecte de la confiance ?
Tu injectes des actes et des faits, qui ne sont pas cause de peur et qui par nature, laisseront de la place à la confiance. La confiance, ça n’existe pas, ça vient du latin confidès, ça veut dire avoir la foi, et c’est donc   le seul sentiment de confiance et donc rien qu’en disant ça, tu vois bien que ça touche les émotions, les émotions sont liées aux territoires, et donc en fait je ne veux pas activer un des éléments qui fait que tu vas te barrer parce que je suis la cause de ta peur. donc c’est très exigeant

 

ça touche aux territoires
Perçus

 

dans notre travail, pour essayer de travailler cette dynamique de confiance, on apporte deux choses que sont la sécurité et la liberté. J’ai l’impression que plus tu apportes de la sécurité et de la liberté à ton interlocuteur de te dire non, plus il va avoir confiance, et peut-être que moins il aura peur
Moi je n’apporte rien, c’est lui qui se l’apporte, c’est-à-dire que je vais apporter une information, mais comme je connais sa grille de lecture,  il va s’apporter de la sécurité avec moi, et comme tu l’as dit, ça touche des hormones du plaisir, de l’attachement et en fait, il va s’attacher à moi parce que je suis un élément augmentant de son futur, et je deviens un référent. Et en étant un référent dans la négociation,  il ne peut pas avoir peur du référent qu’il a installé lui-même au sommet de la hiérarchie.

 

ça touche, je ne sais pas si tu le définis comme ça, la notion de pouvoir en négociation, qu’est-ce qui fait qu’on peut obtenir quelque chose, et majoritairement dans ce que j’ai pu lire, le pouvoir s’utilise contre les gens, et nous, notre perception du pouvoir, c’est cette capacité à posséder ou détenir une ressource que l’autre valorise, c’est-à-dire que notre plus grosse source de pouvoir c’est cette capacité à solutionner le problème de l’autre,  ou autrement dit, je ne pourrai pas avoir d’opportunité professionnellement ou personnellement si je ne suis pas une opportunité pour l’autre. Donc cette notion de pouvoir est dans ce souhait d’être une évidence pour l’autre, et j’ai l’impression que c’est ce que tu dis, plus tu augmentes l’autre, plus tu es une évidence, tu es un point de passage obligatoire, plus il te donne du pouvoir ou en tout cas plus il va avoir confiance et moins il va avoir peur
Je vais me permettre d’aller un peu plus loin parce que je fais une différence entre pouvoir, autorité et légitimité. Le pouvoir, c’est la capacité à agir sur les hommes, le temps et les ressources. Autorité, ça vient du latin auctoritas, qui a donné en anglais auction, augmenter, c’est-à-dire que le C de Auctoritas s’est adouci avec un G, et c’est augmenter l’autre. Et en fait, en français on dit très bien, conférer, confidès, confiance, on confère l’autorité à quelqu’un de me guider, et la légitimité, ça vient de legos, la loi, c’est-à-dire que c’est un référent, par sa connaissance et sa justesse. Et le problème de l’ego, c’est qu’il a le pouvoir d’influencer, et il va chercher d’être légitime, inconsciemment il va chercher une légitimité, or,  c’est une erreur de le lier à l’abus de pouvoir, je ne serais légitime à tes yeux que parce que je t’ai augmenté. Donc moi je ne vais pas chercher le pouvoir, je vais chercher d’être une figure d’autorité, et jamais, jamais je n’essaie , je ne revendiquerais mon pouvoir en disant, attention, je peux vous bloquer ! parce que faire référence à son pouvoir, c’est devenir un élément  bloquant, dominant, or, dans l’approche que j’ai de la négociation, je ne suis pas plus haut, je ne suis certainement pas plus bas, mais  je n’ai pas besoin d’abuser de mon pouvoir, je vais tout faire pour devenir une figure d’autorité,  c’est-à-dire que je vais t’augmenter, et dans la tête ça génère, non seulement du plaisir parce que je t’ai augmenté,  de la satisfaction mais ça sécrète l’ocytocine, c’est une hormone d’attachement, c’est-à-dire que nos référents nous y sommes attachés. Les gens qui nous ont augmentés, on s’en souvient, comme on se souvient très bien des gens qui nous ont humiliés. Donc je préfère prendre la voie de l’augmentation par l’autorité, être une figure d’autorité, et non pas de pouvoir, pour qu’un jour, je serai peut-être mort, et tu diras, ce type-là était légitime. Mais il n’y a pas de quête de légitimité dans la négociation, or inconsciemment je vais la chercher parce que je ne me vois pas négocier avec toi,  donc je vais me chercher dans tes yeux, et je vais chercher à être légitime dans tes yeux, mais si tu as une poker face, je ne vais rien voir, et je vais être perdu,  parce que ma quête de légitimité est liée à l’ego

 

cette quête de légitimité est liée l’ego ?

Inconsciemment,  si je ne suis pas légitime à tes yeux, tu ne m’écouteras pas, mais on s’en fout ! parle-moi de moi, et je vais t’écouter. Ça veut dire que si je cherche à t’augmenter, tu vas m’écouter, mais si j’arrive en disant, vous savez j’ai fait ça et ça, vous devriez m’embaucher, ou j’ai une expérience… on s’en fout ! tu cherches une légitimité, parle-moi de mon projet, trouve des angles augmentants chez moi, trouve des angles morts auxquels je n’ai pas pensé,  aide-moi à structurer ma pensée au-delà du projet qui était le mien, et je vais t’écouter, je ne peux pas faire autrement puisque tu me parles de moi.

 

Ce n’est pas quelque chose qu’on doit aller chercher, c’est quelque chose qui se donne
Oui, conférer l’autorité, c’est bien toi qui me le confèreras, c’est toi qui, parce que tu as confiance, et donc parce que tu n’as pas peur, tu me confèreras une autorité, et donc tu vas me suivre dans mes recommandations, jusqu’à ce que je te nuise. Et comme je n’ai d’aucune manière envie de te nuire, on devient des followers, des gens qui nous augmentent. Et donc l’approche de la négociation c’est d’être des référents, et là tout le monde gagne, pas du genre win-win, ce qui ne veut rien dire pour moi, mais d’un genre plutôt où on va gagner au-delà de nos attentes respectives, parce que nos cerveaux sont contraints par des grilles de lecture et notre collaboration dans la négociation va nous faire aller au-delà de nos attentes.

 

win-win, pourquoi ça ne veut rien dire ?
J’ai adoré le bouquin de Chris Voss, Never split the difference, et j’aurais aimé le dire, mais c’est lui qui l’a dit. Donc je rends à Chris Voss ce qui lui appartient, ne jamais couper la poire en deux. En fait quand on est dans le win-win, c’est qu’on ne sait pas aller plus loin, donc on se retrouve avec une petite pièce à partager, et ça n’a pas de sens pour moi. C’est qu’on a fait un bout du chemin,  donc le win-win c’est qu’on n’est pas allé au bout du protocole, et dans le protocole de négociation, pour moi on doit aller au-delà de l’objet qui faisait qu’on se rencontrait. Donc le win-win, pour moi, c’est aussi le loose-loose, c’est qu’il y a une partie qu’on n’a pas explorée. Après il y a plein de gens qui sont contents avec ça, je respecte, mais en tout cas pour moi ce n’est pas suffisant

 

Oui Chris Voss, c’est un livre très intéressant à lire, très vulgarisé,  mais j’ai une petite préférence, si tu m’autorises, Chris Voss, s’est extrêmement inspiré de Jim Camp, sur son start with no

Oui tu me l’as dit, tu as raison de rendre à César ce qui appartient à César, mais je parle surtout du titre de son livre, Never split the difference, c’est ça qui est intéressant pour moi, je répondais à win-win

 

tu as évoqué cette notion de questionnement, l’art du questionnement. Dans quelle mesure c’est un art ?
C’est un art et c’est une science. C’est une science tout d’abord parce qu’elle touche les mécaniques comportementales, ça touche les hormones, donc ça touche des éléments incontrôlables puisqu’ils appartiennent au métabolisme de l’autre. Donc l’idée est de comprendre la science des mécaniques comportementales pour essayer de jouer avec et de les utiliser, donc c’est une science.

C’est un art parce que, comme le piano, la musique, comme le mentalisme où tu es un expert pour moi, je prends les mêmes cartes et j’essaie de faire le truc, je n’aurai pas le même effet, c’est-à-dire que les cartes n’y sont pour rien, le public reste le même, mais mon truc va faire flop. Donc c’est un art, ça touche les règles de l’apprentissage, on n’a pas tous les mêmes talents pour questionner, on n’a pas tous la même agilité intellectuelle, on n’a pas tous la même spontanéité devant un public ou devant une personne, un rapport à l’autorité. Donc c’est un art parce que le questionnement est une méthode, un process, qui va toucher certaines parties du cerveau, et donc ça c’est bien établi, c’est une science, mais l’art du questionnement, chacun va le jouer à sa manière, chacun va y mettre son ton, sa spontanéité, chacun aura des mélodies qu’il préfère utiliser en premier, d’autres vont plutôt utiliser une tonalité, d’autres plutôt un tempo, d’autres vont plutôt être assez doux. Donc c’est un art parce que, comme la cuisine,  les épices ne seront pas les mêmes, la texture ne sera pas la même, la cuisson ne sera pas la même, et comme ça touche les systèmes complexes, l’assemblage ne peut pas être le même. Et chacun va y mettre sa spécialité. J’ai formé plusieurs centaines de personnes à l’art du questionnement, et ils me surprennent déjà dans la façon dont ils en jouent, et je vois qu’ils ont développé leur propre tonalité.

 

ça veut dire que dans ta façon de séquencer la question, d’un point de vue linguistique,  il y a des points de passage pour ce qui est une bonne ou une mauvaise question
Déjà il n’y a pas de mauvaises questions, elles sont toutes le fruit de ton meilleur bénéfice futur, mais il y en a qui sont plus ou moins efficientes, et en fait, tu te souviens de la phrase, les bons négociateurs posent des questions, blablabla, et en fait pour moi un excellent négociateur obtient les réponses qu’il veut, c’est surtout ça qui m’intéresse. Et comme je travaille sur les mécaniques comportementales, ce qui m’intéresse n’est pas que tu répondes à toutes mes questions, c’est que tu me donnes des réponses qui sont aidantes. Et donc dans le protocole, pour moi il y a trois leviers au questionnement, donc je suis loin des questions ouvertes ou fermées. Premièrement c’est mon intention,  c’est-à-dire que je sais que mon intention est dans le care, et que si mon intention n’est pas claire, mon inconscient l’amènera dans le scare, c’est-à-dire que ça sera une question pour répondre à mes peurs, et pour avoir raison, alors que le care, c’est pour te découvrir, pour apprendre, pour comprendre et pour t’augmenter. C’est-à-dire que 100 % de mes questions, je dis bien 100 % de mes questions,  sont orientées vers ton futur à toi pour essayer de mieux comprendre. Premier point, c’est le levier de l’intention

 

pour les gens qui nous écoutent et qui ne parleraient pas forcément anglais, care, c’est prendre soin de l’autre
Voilà, c’est être concerné par l’autre et pas l’autre que j’intègre dans mon monde à moi, mais l’autre dans son entièreté, dans son unicité, et avec son libre arbitre, bien évidemment.

 

care que tu opposes à scare
Scare, c’est la peur, c’est que la peur est le moteur de mon intention, c’est les fameuses questions, ne pensez-vous pas ? êtes-vous d’accord avec moi ? Est-ce que j’ai raison si ?  Ces questions-là qui sont mues par le besoin de nourrir mes névroses, mes peurs.

Donc premier levier, c’est l’intention. Deuxième levier, ça va être le scope, le territoire de la question.  Par exemple si je te demande, quel est ton C.A ? Ensuite quel est ton C.A dans les grandes entreprises ? Quel est ton C.A dans les grandes entreprises françaises ? Quel est ton C.A dans les grandes entreprises françaises qui touchent la négociation complexe ? Quel est ton C.A dans les grandes entreprises françaises qui touche la négociation complexe dans les deux dernières années ? Tu vois bien qu’à chaque fois je peux, par le questionnement et le territoire que je mets dedans, cibler un des points très précis ou très large, je pilote ma question, et je peux relever une information de deux euros ou au contraire une information de 200 euros, mais c’est moi , je suis le pilote de la chose

 

c’est comme un faisceau de lumière que tu pourrais rétrécir
C’est ça, j’aime beaucoup ton image du faisceau,  je peux taper large, ou je peux être laser sur des spots, et je suis libre puisque je suis l’auteur de ma question, j’ai la possibilité de poser une question, je ne vais certainement pas me priver de dire, quel est ton C.A et que tu me répondes deux euros ! mais non, tu sais bien, je visais pour les entreprises françaises tout ça. Et en fait, je me suis privé d’aller chercher une information qui était la bonne, et je ne sais pas à quoi tu penses, mais moi je sais que je peux aller chercher dans ton cerveau puisque ton indexation d’informations, tu l’as structurée à un endroit précis, et tu m’as dit que tu travaillais dans les entreprises françaises, tu m’as dit que tu faisais de la négo et tu m’as dit que quelque part tu travaillais sur des négociations complexes. Donc je peux librement, en utilisant tes index, chercher

Donc deuxième levier, c’est le territoire de ma question

Et troisième levier, qui est pour moi une vraie découverte grâce aux mécaniques comportementales, je me régale quand je le fais, c’est que je peux te demander une chose que tu connais, une chose pour laquelle tu as une opinion, ou que si tu ne connais pas, en tout cas tu peux imaginer. Par exemple, quelle température à ton avis fait-il dehors ? Quelle température fait-il en Espagne, à Madrid aujourd’hui, ou combien de personnes écouteront ton podcast ? Je sais que ton cerveau a dans une partie de son archivage, des informations, et tu peux avoir une opinion Ne réponds pas, que penses-tu de l’action de Poutine aujourd’hui et l’impact de Biden et de Xi Jinping dans cette affaire ? Mes questions vont puiser dans tes opinions, dans du connu, ou en tout cas quelque chose que tu peux commenter. Et il y a un type de questions, et c’est là où la magie du cerveau combinée avec le questionnement est absolument incroyable,  c’est que je peux te demander d’élaborer quelque chose. Et là je m’explique, c’est-à-dire que tu n’y avais pas pensé avant, et c’est le propre des systèmes complexes, c’est que je vais prendre deux éléments de ta connaissance, à ton avis, si ton épouse invitait Poutine à la maison, quelle serait les deux sujets hormis l’Ukraine que tu aimerais aborder avec lui pour lui faire prendre conscience que quelque part il a dépassé les limites et que les conséquences touchent l’énergie du monde entier ? Donc j’ai pris deux éléments, l’énergie, je prends Poutine , tu n’étais pas prêt à répondre à cette question puisque tu n’avais pas d’opinion, puisque j’ai mélangé plusieurs critères,  mais ton cerveau ne peut pas ne pas répondre. Et c’est ça qui est extraordinaire, c’est que je peux piloter le type de réponse, c’est le troisième levier, je peux piloter le type de réponse que tu vas me donner, soit dans le connu, soit je vais te faire élaborer une réponse.

Donc j’ai trois piliers, et si j’en oublie un, quelque part la réponse sera dégradée. Or si dans chacune des questions je joue avec ces trois piliers, derrière, je suis exactement là où je veux et tu ne pourras pas ne pas répondre. Peut-être que tu me mentiras,  peut-être que tu garderas ta réponse, mais en tout cas ce n’est pas grave, je sais que je suis au bon endroit dans ta tête.

 

et c’est là que ça peut créer cette notion de paradoxe que tu soulignais tout à l’heure
Exactement, c’est que je vais, avec toute la bienveillance du monde, en disant tu me dis que tu penses à ça, je sais que tu aimes le mentalisme, tu sais que le mentalisme est en désaccord avec la négociation, maintenant, à ton avis, dans quel domaine pourrait-on en prévenant un public, combiner les deux et quel genre d’ouvrage tu pourrais écrire ? Ça fait 6 ans que j’attends ton ouvrage donc, il faudra bien que tu le pondes à un moment donné

 

je reviens sur la préface que tu m’as gentiment écrite, il y a un « nous permettre de faire », donc j’attends qu’on le fasse ensemble cet ouvrage mixte mentalisme
On verra, il faut trouver la clé

 

tu es revenu énormément de fois sur cette notion de négociation complexe, de complexité, j’ai beaucoup aimé la façon dont tu le définissais dans ton livre. Est-ce que tu peux nous partager ce qui rend la négociation complexe, et comment jouer avec cette complexité
C’est très important ce que tu viens de dire, c’est que j’estime que depuis 2010 il s’est passé une chose dans le monde, et qu’un des changements les plus drastiques, c’est le rapport à l’autorité et ça touche tous les êtres vivants sur la planète, on le voit. 2010 parce que, 2000, le web et le début de ça, 2010 c’est l’arrivée de l’I.A, et le Cloud, on a cassé la relation au pouvoir et à la connaissance.  Et donc je fais une très grosse différence entre les systèmes complexes et les systèmes compliqués. La négociation est complexe parce qu’on n’est plus dans un mode où il y a ci, il y a ça, et donc il y aura ça, or, beaucoup de modèles de négociation avaient été écrits après les 30 glorieuses, où on pouvait… On était un milliard de personnes en 1900, 3 milliards en 1950, on annonce 8 milliards, on va scorer les 8 milliards un peu en avance maintenant et on annonce 9 milliards, en tout cas on est davantage de personnes. Donc en fait on est sorti des systèmes linéaires, parce que le monde est surchargé. Donc la négociation d’autrefois qui était une négociation linéaire, qui avait sa place avec une négociation en entonnoir, avait sa place, parce que les marques avaient de l’autorité, le rapport à l’autorité disait, tu prends ça, donc tu vas pouvoir prendre ça, on pouvait écrire l’histoire. Or, on a basculé dans une vraie complexité aujourd’hui, et les deux caractéristiques des systèmes compliqués, linéaires et des systèmes complexes sont caractérisées par 4 critères. Le premier critère, dans les systèmes compliqués, c’est que c’est prévisible, c’est-à-dire que si on prend un objet compliqué, mais qui n’est pas complexe, ton ordinateur, ton ordinateur c’est prévisible, on connait les composants de la chose, et on peut les décrire. Alors que la complexité est imprévisible, on va commencer à négocier ensemble,  mais on ne sait pas ce qu’il va se passer, on n’est plus dans un système linéaire où je connais la fin de l’histoire. Je sais que tu peux dire non ou oui, mais tout ce qu’il se passe au milieu est imprévisible.

Deuxième critère, c’est que les systèmes compliqués sont réversibles. Si tu démontes ton ordinateur et que tu le remontes, il n’aura pas changé de forme et tu vas retrouver ton ordinateur dans le même état. Moi si je le démonte, je vais le péter, mais quelqu’un qui sait faire, démonte et remonte. Or dans les systèmes complexes, on est dans irréversible, et c’est le modèle de la mayonnaise, c’est que quand on a fait une mayonnaise, on ne peut pas extraire l’œuf de la mayonnaise pour le remettre dans sa coquille, l’huile dans sa bouteille, le sel dans la salière. Et en négociation, non seulement c’est imprévisible, c’est irréversible

Troisième critère, c’est qu’il y a une indépendance des paramètres dans un ordinateur, la clé A et la clé B et la clé Z,  les touches A B Z sont indépendantes les unes des autres et la batterie ne se mélange pas,  on n’est pas en train de mélanger quelque chose. Donc il y a une indépendance. Or, dans la négociation, système complexe, on est dans l’interdépendance, le sourire que tu vas m’envoyer, la question que tu me poses,  aura une influence sur moi, et j’aurai une influence sur toi, comme dans la mayonnaise, l’œuf va modifier le gout de la moutarde, la moutarde va modifier la texture de l’huile,  et donc on est dans une interdépendance.

Et quatrième critère qui différencie les systèmes complexes des systèmes linéaires, c’est qu’il y a des invariants connus pour faire un ordinateur, il faut un écran, une batterie, les touches ABC, etc., et la touche return, alors que dans la négociation complexe il y a des invariants, mais ils sont flous. Je ne sais pas dans quelle humeur tu es aujourd’hui, je ne sais pas ce qui t’embête, ce qui t’ennuie, donc on est dans des invariants flous,  il y a des enjeux, il y a un négociateur et un negocieti, quelqu’un avec qui je vais négocier, mais je ne sais pas dans quelle mesure il est.

Donc c’est pour ça que la négociation est complexe, parce qu’elle est imprévisible, irréversible, interdépendante et invariants flous. Et celui qui croit contrôler la négociation comme il le ferait avec un système linéaire, en fait, met déjà une attente de résultat derrière. Or je n’en sais rien ! et je n’ai pas peur d’y aller, parce que la négociation complexe permet d’ouvrir ce champ des possibles (d’embrasser cette incertitude)

 

tu as évoqué un mot qui est mon plus grand regret à la lecture de ton livre, et je te l’ai partagé, negocieti, ce concept est brillant, tu peux en dire deux trois mots ? il n’est pas dans ton livre, tu l’as transformé avec l’autre, et il est important d’en parler parce que je ne l’ai vu nulle part, et au moins pour t’en donner la paternité, surtout dans un monde où les idées se répandent rapidement, il est fort, ce terme

En fait, c’est un mot qui n’existe même pas en anglais, mais the negotiator, c’est celui qui initie la négociation, et le negocieti, c’est celui avec qui on négocie. J’ai voulu mettre ce mot là, mais en en parlant avec mon éditeur, il a dit, le livre est d’abord en français, donc on risque de perdre beaucoup de lecteurs, si le mot negocieti n’est pas compris. Donc j’ai accepté de l’enlever, mais dans mon travail de tous les jours, j’utilise negocieti, parce que c’est un être à part entière, et l’autre est trop vague pour moi, ou mon interlocuteur est trop vague, mais c’est une coupe mal taillée que j’ai acceptée parce que je fais confiance à mon éditeur qui connait mieux les lecteurs que moi dans ce monde-là. Mais j’aurais aimé utiliser negocieti, tout le long du livre.

 

Pour finir le podcast, si le Éric d’aujourd’hui rencontrait le Éric d’il y a 20 ans, 30 ans, quel conseil lui donnerais-tu ?
Je réfléchis parce que la question est complexe et m’oblige à réfléchir en arrière. Tu m’obliges à élaborer une réponse parce que la situation que tu amènes dans ma tête n’est pas connue de moi, donc c’est un très bon exemple de question élaborée, donc elle génère un temps de réflexion.

Je suis très embarrassé, mais c’est formidable !  qu’est-ce que je lui dirais à part toutes les banalités, sois toi-même, ne change rien ?

Je sais, je lui dis, questionne !

 

on ne l’a pas précisé, mais tous les bénéfices de ton livre vont…
Oui j’ai oublié de le dire, mais ça me regarde, d’abord c’est un transfert de connaissance, un don, mais en plus, j’ai décidé, mais c’est vraiment très personnel, c’est que tous les revenus de ce livre, je les donne à des associations qui s’occupent d’offrir des rêves à des enfants qui sont condamnés. Et la raison me regarde, je n’ai pas envie de m’enrichir avec ça, et je crois que je m’enrichis beaucoup plus en sachant que des gamins vont se marrer, avoir des sourires, des bananes en montant sur une scène ou derrière un camion, en montant sur un vélo ou en faisant du golf avec quelqu’un ou en allant en montagne. Je trouve que c’est très riche, ça me nourrit amplement. Merci de le dire.