PourParler – Faciliter la résolution de conflit – Benjamin Sylvand

Je suis coach négociateur et médiateur de conflits. J’accompagne essentiellement des décideurs qui sont en situation de conflit, en individuel ou en collectif, avec une approche de résolution ou de médiation de conflit.

C’est une pratique que j’aime bien faire, et les échanges qu’on peut avoir régulièrement, c’est à la fois aussi d’avoir une pratique terrain, et de pouvoir réfléchir sur cette pratique terrain, pour essayer de prendre un petit peu de recul, de hauteur et de penser aussi la discipline en tant que telle.

 

nous parler de ton parcours, je trouve qu’il est intéressant parce qu’il teinte assez fortement l’écriture de ton ouvrage, et même son angle

J’ai un doctorat de philosophie, de recherche, philosophie des sciences cognitives, qui date déjà un peu, mais qui est effectivement pour moi dans la continuité,   ma pratique et ma réflexion sur le sujet est dans la continuité de ces recherches-là, avec une approche philosophique, conceptuelle, abstraite, qui pour moi permet peut-être de clarifier, ou d’aller interroger certains concepts, certains présupposés, d’une manière générale  plus systémique, et de pas simplement les prendre pour acquis ou les inférer d’une expérience  pour elle-même. Donc oui ça teinte, avec le côté nourri d’une pratique, et pour nourrir une pratique, j’aime bien les deux aspects, à la fois réflexion, etc., et après, un parcours qui passe par de l’enseignement universitaire que je continue à faire, par des grandes entreprises et des cabinets de gestion de crise, résolution de conflits, et en indépendant depuis quelques années

 

tu accompagnes tant des structures, types entreprise, organisations, que des individus sur de la formation, du conseil ou du coaching sur ça
Oui

 

Cet ouvrage, on va sortir le podcast à quelques jours près de la sortie de ton ouvrage, faciliter la résolution de conflits, sur une belle maison d’édition, InterÉdition. Ce qui t’a poussé à écrire là-dessus ?
De manière très pédante, peut-être, c’est, je ne trouvais pas un ouvrage qui présentait un angle comme celui-ci, et donc l’objectif, ou l’intention est de nourrir un dialogue, un débat, sur la discipline, avec un apport de disciplines croisées, et notamment de la philosophie, avec de la psychologie, avec de l’économie cognitive, la négociation, l’ensemble de ça, pour se dire, peut-être qu’on peut encore aller questionner des concepts, des présupposés, des principes, et aller se nourrir  de ce qui se fait dans d’autres disciplines, pour peut-être apporter un éclairage un peu différent ou au moins enrichir un point de vue, pour se dire que c’est aussi une discipline qui est vivante, qui évolue, et je pense que c’est important de s’en nourrir. Et c’était pour nourrir ce débat-là, donc à la fois avec un angle qui est très conceptuel, il y a une première partie qui est quasiment philosophique sur la question, tout en gardant l’optique d’une pratique, parce que ça reste une pratique, et de pouvoir faire des connexions, voire développer des outils qui permettent sur le terrain, d’enrichir la caisse à outils du négociateur, du médiateur

 

Ce que j’ai aimé dans la lecture de l’ouvrage, c’est que c’est du Benjamin, il y a un parti pris, et c’est intéressant parce que j’ai dû lire quelques livres sur la négociation, du Karpman, du Ury, du Fischer, c’est cool, mais je les ai déjà lus. Lire des ouvrages qui vulgarisent ce qui a déjà été vulgarisé, au bout d’un moment, tu en perds presque les sens, et tu arrives à des ouvrages qui peuvent être très bien vendus,  je pense notamment à, ne coupez pas la poire en deux, mais c’est un patchwork sur vulgarisé de choses qu’on retrouve, des copiés-collés de parties entières de livres à quelque chose près,  qu’on retrouve ailleurs. Alors que dans ton livre, il y a un parti pris, c’est ma perception du conflit, c’est ma perception de la résolution de conflit, de la médiation , de la négociation,  on est d’accord ou pas, mais on apprend forcément quelque chose, et en ça, je trouve que c’est toujours riche d’avoir ce regard. Donc bravo pour l’effort, ce n’est pas évident d’être sur une écriture qui est comme ça
Sur ta première partie, faciliter la résolution de conflits, c’est cette notion de conflit déjà, je vais me faire l’avocat du diable, mais je ne suis pas forcément en guerre dans l’entreprise, dans mes relations aux autres, je n’ai pas de conflit, est-ce que ce livre ne s’adresse qu’à des militaires qui sont en guerre ?
Non, ce qui passe aussi par une définition du conflit. En fait le titre, faciliter la résolution de conflits, est assez simple, dans la mesure où il me donne le plan du bouquin. Pour comprendre le titre, il faut comprendre ce que c’est qu’un conflit, qu’est-ce que la résolution de conflit et comment on peut faciliter la résolution de conflit, donc il y a trois parties, c’est assez simple.

Le conflit a cette connotation militaire, cette connotation de rapports de force, de rapports de pouvoir, mais il me semble que c’est l’une des formes que peut prendre le conflit. Et c’est aussi l’occasion de revenir sur, c’est quoi un conflit ? Et si j’ai écrit aussi ce bouquin, c’est que j’ai eu beaucoup de mal à trouver une définition positive du conflit. La définition à laquelle moi j’arrive et que je propose, c’est que le conflit est un ressenti d’une contrainte interprétée comme volontairement entravant notre action. Donc c’est un ressenti, donc il n’y a pas une réalité autre que celle de l’émotion et du ressenti de la personne, ça aussi c’est un point, c’est-à-dire que ça pose déjà qu’il n’y a pas une objectivité, une réalité objective du conflit indépendamment des personnes qui sont, qui se sentent en conflit. Et c’est le ressenti d’une contrainte, de quelque chose qui nous serait imposé, de manière intentionnelle, volontaire, de la part d’autrui, pour limiter notre champ d’action

 

(communication sur la formation)

 

ça veut dire que dans le conflit, il y a une notion de volontaire, et c’est orienté face à quelqu’un, ça ne peut pas être involontaire
C’est une interprétation,  cette contrainte est interprétée par la personne qui la ressent, donc une personne peut se sentir en conflit, vis-à-vis de quelqu’un ou par rapport à quelqu’un sans que l’autre sache qu’il est en conflit ou qu’il est impliqué dans une représentation de conflit

 

si on prend un exemple simple, je veux partir en vacances à la mer, ma femme veut partir à la montagne, je n’ai pas d’intention de lui nuire, d’être sur un processus de malveillance, même s’il y a un processus de résistance, d’assertivité pour moi, dans quelle mesure tu le considères comme un conflit ou pas ?
J’aurais tendance à dire que ce n’est pas un conflit, ou je ne peux pas encore caractériser, savoir si c’est un conflit, ça peut être simplement un débat, un dialogue, un échange. Il y a un désaccord, mais s’il n’y a pas une intention, ou l’interprétation d’une intention comme étant volontairement malveillante, c’est juste de dire, on a un différend et on discute

 

ça veut dire que si tu pars du principe que, par exemple, c’est une définition assez vulgarisée du conflit, un désaccord exprimé ou non exprimé qui peut être latent, une divergence d’opinions et on peut négocier, typiquement on peut négocier ses vacances ou son restaurant, mais la négociation implique ce désaccord. Pour toi dans la négociation il n’y a pas forcément de conflit, il peut y avoir un désaccord, ça suffit
Oui

 

le conflit est une étape au-delà, qui est dans l’intention de malveillance

C’est dans le vécu du postulat d’une intention de malveillance, si l’un des protagonistes le prend pour lui . Moi je veux aller à la mer, et il veut m’imposer d’aller à la montagne, parce que volontairement il sait que j’aime la mer et déteste la montagne donc il peut me faire souffrir, et je peux avoir un ressenti qui est de dire, il me veut du mal. Maintenant si c’est juste, c’est des propositions qui sont avancées sur la table, et en définitive on ne pourra en prendre qu’une des deux, là peut s’engager un dialogue, une négociation, mais sans qu’il y ait nécessairement un vécu négatif

 

ce qui fait de cette dichotomie dans ta définition du conflit, tu as forcément une vision manichéenne qui va arriver avec ce constat qui est, soit tu es pour moi, soit tu es contre moi, mais il n’y a pas de gris
Il n’y a pas de gris, ou en fait il n’y a pas de nuance qui sera interprétée comme étant une nuance, c’est-à-dire que tu pourrais imaginer qu’il y a un continuum avec des extrêmes, mais effectivement, soit tu es contre moi, soit tu es pour moi, et ce qui fait qu’il n’y a pas de neutralité possible, c’est-à-dire que celui qui dit bof, je ne sais pas, en  fait tu es contre moi parce que tu ne me soutiens pas

 

c’est très manichéen
Oui, et ça, c’est manichéen sur la dynamique du conflit, ce que je rattache à la gestion du conflit. On va te demander de changer de curseur sur cette ligne, d’être pour ou d’être contre, mais finalement c’est toujours, soit une résistance à quelque chose qu’on veut m’imposer, soit c’est, je me soumets, j’accepte l’intention de l’autre, au détriment de la mienne

 

je me soumets ou je peux fuir. Ça nous amène à cette notion que tu évoques dans ton livre, qui est un paradoxe au niveau du conflit

Le paradoxe au sens de, on est acteur du conflit

 

le conflit est dans l’interaction, pas dans l’individu

Il est dans l’interaction et pas dans l’individu, l’individu aura le ressenti, aura l’impression d’être en conflit, mais si le conflit n’était que dans la personne, finalement, il suffirait de changer la personne ou de changer son point de vue pour que le conflit disparaisse. C’est aussi pour ça qu’il ne peut y avoir de conflit qu’entre personnes, qu’entre intentions. On peut personnifier un objet ou un robot ou quelque chose, mais on ne peut pas être en conflit avec quelque chose d’inanimé, qui n’aurait pas d’intention, ça serait un accident, ou un obstacle sur notre chemin, mais ça ne sera pas destiné contre nous. Le truc c’est soit tu as la tuile qui t’est tombée sur la tête, et c’est un accident, parce que ce n’était pas destiné contre toi, mais si tu imagines qu’il y a une force, quelle qu’elle soit qui volontairement t’a balancé la tuile sur le crâne pour te faire passer une mauvaise journée, là tu es en conflit

 

 

Ça veut dire que dans cette dynamique, on est pour ou contre,  qui est assez binaire, j’ai l’impression que le bras armé de cette dynamique dans l’interaction à l’autre, c’est de vouloir avoir raison et de prouver à l’autre qu’il a tort et inversement. Donc d’être dans une forme d’argumentation, contre argumentation, en tout cas un échange assez stérile, où on impose un point de vue ?
Où on impose un point de vue, et c’est là aussi que c’est important. C’est-à-dire qu’il y a cette notion de vouloir soumettre l’autre à son intention, parce que tu pourrais avoir un débat philosophique, une dispute, une dispute d’idées. Il y a des gens qui ne seront pas d’accord avec ce livre et on peut argumenter, on peut changer, mais si c’est destiné à faire nourrir un débat, si ce n’est pas destiné contre la personne en face, on peut dire que là il n’y a pas de conflit, il y a métaphoriquement un conflit d’idées, mais on n’en veut pas à la personne, il n’y a pas d’intention malveillante contre la personne

 

dans ton travail tu notes une importance très forte à l’intention.  Il y a cette idée qu’on a nous dans notre travail, qu’on retrouve dans cette phrase, l’enfer est pavé de bonnes intentions, c’est que quand les gens font quelque chose, l’intention primaire qu’ils ont pour eux est toujours louable, ils vont toujours chercher un bénéfice dans l’action de quelque chose. Pour avoir côtoyé des criminologues, des gens qui travaillent dans la police ou la gendarmerie, sur des crimes assez odieux, sur les phases d’audition avec des gens coupables, leur intention à eux, dans leur référentiel, malgré l’acte odieux qu’ils ont commis est louable, au nom d’une religion, d’un principe, d’une voix dans la tête, au nom d’un bien-être. Cette notion d’intention comment fais-tu pour la différencier d’une certaine manière de l’impact que ça va avoir ?
Chacun voit midi à sa porte, donc dans notre propre cas, dans notre propre référentiel, on a toujours d’excellentes raisons pour faire ce que l’on fait. Et tu peux même pousser le bouchon en disant que par défaut, tu peux considérer qu’on agit toujours pour exprimer la meilleure option qui nous apparait la plus pertinente au moment où on la fait. Donc de dire, compte tenu de notre cognition limitée, ou du manque d’information qu’on a, si on a fait ce choix-là, et tu peux prendre n’importe quel criminel ou quoi que ce soit, pour que son acte dans son propre référentiel puisse être considéré au moment où il le fait comme étant la meilleure option accessible, pour cette personne à ce moment-là. On fait de notre mieux, à chaque fois. C’est pour ça que l’enfer est pavé de bonnes intentions, parfois on pense faire quelque chose de bien ,sans imaginer les conséquences que ça peut avoir, l’impact que ça peut avoir (ou en les sous-estimant). Soit on les sous-estime, soit parfois on ne les voit pas du tout. Je me souviens d’un cas,  un commercial qui revient et dit, c’est cool, j’ai signé pour plus de 200 % des commandes qu’on m’avait demandées, et revenu au bureau les gens lui ont fait la gueule en disant,  mais on n’a pas le stock ! et on ne pourra pas l’avoir. Là où lui pensait avoir fait une performance, finalement ça peut mettre en difficulté toute l’organisation, donc soit on les mésestime, soit on n’a pas envisagé les conséquences que ça pouvait avoir, mais là où c’est intéressant dans l’interaction conflictuelle, c’est que je vais, moi interpréter, ton intention dans mon propre cadre de référence, et c’est là qu’il peut y avoir un bogue en disant, moi je n’aurais pas pris cette option-là comme étant la plus pertinente à ce moment-là. Mais si je considère, si je plaque mon référentiel sur l’autre, je vais dire, il est bête, s’il a fait ça et que c’était son meilleur choix, volontairement il n’a pas voulu prendre le meilleur choix. Et c’est là que tu vas commencer à dire, volontairement, comme il a la possibilité de prendre le meilleur choix au meilleur moment, s’il ne l’a pas fait, c’est qu’il a une intention cachée. Donc tu lui attribues,  ce côté malveillant, c’est en fait dans ton propre cadre de référence que tu calques sur celui de l’autre, et c’est là qu’il y a des quiproquos, c’est là que tu considères que pour lui…. Si je reprends mon exemple du commercial, tu pourrais avoir le responsable d’exploitation qui va te dire, tu es con ou quoi ? Tu n’as pas imaginé que ? Peut-être que l’autre dans son référentiel de commercial, non ça n’apparaissait pas sur la carte,  peut-être qu’on n’avait pas documenté suffisamment la carte, peut-être qu’il n’y a pas pensé à ce moment-là, mais lui n’avait certainement pas l’intention de couler la boite.

 

peut-être qu’il se dira, on y réfléchira plus tard, business first

Chacun son expertise, et si moi je suis capable de surperformer, eux seront capables de surperformer dans leur domaine, etc., mais tout ça c’est des postulats d’intention, qui sont des inférences, et les inférences c’est toujours un peu casse-gueule

 

c’est ça qui va générer les malentendus et l’incompréhension derrière de dire,  potentiellement le commercial pourra avoir cette vision, je ne suis pas reconnu à ma juste valeur alors que j’ai des objectifs, et qu’on ne me donne pas les moyens de les faire ou je surperforme, et je ne suis pas reconnu à ma juste valeur
Ou les autres sont nuls, fainéants, ils ne veulent pas créer de la valeur, etc.

 

et le responsable d’exploitation qui va avoir une vision qui est de dire, nous on est toujours le parent pauvre, ils vendent sans se soucier du delivery, et maintenant ?
Soit c’est simplement un problème qu’on peut objectiver, et on va dire, il y a peut-être un problème de communication entre les deux, ou de méconnaissance du métier de l’autre ou des informations que possède l’autre, et on peut dire, on peut corriger ça. Soit les personnes peuvent considérer que l’autre, volontairement, agit contre lui et là il va y avoir un conflit. Et tu vois, c’est plus sur le ressenti qui va générer, qui est de dire, si l’autre dit, en fait il est idiot, con et en plus il cherche à me saborder, je vais faire…  probablement que la personne va réagir en disant, je vais faire un coup derrière qui va l’embêter, etc.

 

quand il y a cette intention malveillante, qu’on est dans cette dichotomie pour et contre, comment tu sors de cette impasse binaire pour ou contre ?
Le pour et le contre, c’est vraiment le conflit tel qu’on le retrouve dans la dialectique du maitre et de l’esclave de Hegel, c’est-à-dire que j’essaie d’imposer à l’autre jusqu’à ce que l’autre résiste, mais cède. Et en fait, il y a un cercle où celui qui a cédé va chercher à se réarmer à un moment pour essayer de contraindre l’autre, etc., donc on a une dynamique, et c’est pour ça que ce pour et contre nourrit la gestion du conflit, c’est-à-dire qu’on n’arrête pas le conflit, on va le moduler de temps en temps en disant, quand on a bien écrasé l’autre, on aura un peu de répit et on aura des moments plus chauds, mais l’interaction reste toujours insatisfaisante pour l’ensemble des parties prenantes. Donc pour sortir de ça, il y a la possibilité d’essayer de faire différemment, de se dire, quelle interaction pourrait être satisfaisante, quelle remise en cause, et c’est là que je rajoute un axe perpendiculaire, orthogonal à celui-ci, qui va être un axe de faire, soit avec l’autre, soit de faire sans l’autre. Et en fait, de poser ça, qui permet de résoudre le conflit, mais qui impose finalement à prendre sa part de responsabilité dans l’interaction. Ce n’est pas suffisant de dire, c’est la faute de l’autre, comme on est dans une interaction, on tient un bout quand même, et ce qui implique de réfléchir sur, quel est notre intérêt, quels sont nos enjeux, à avoir une interaction qui est insatisfaisante pour nous.

 

tu passes de ce modèle pour/contre à un modèle avec et sans l’autre
Oui

 

deux axes, tu peux rentrer un peu plus en détail, ça t’amène dans l’ouvrage à avoir ton profil d’engagement sur la position, à avoir des schémas plutôt bien faits, qui semblent assez puissants
Ça dessine ce que j’appelle une boussole de résolution de conflit. C’est-à-dire qu’on peut imaginer comme une boussole où il y aurait 4 points cardinaux,  il y a le pour le contre sur un axe, le avec et sans de l’autre, et au milieu, il y a la situation qui n’est pas satisfaisante pour la personne au moment. C’est une boussole au sens que ça ne va pas dire ce qu’il faut faire, mais ça permet de considérer des directions pour interagir de manière différente, avec la personne. On a vu depuis tout à l’heure cet axe pour/contre, soit je me soumets à l’autre, soit je résiste en essayant d’imposer mon point de vue à l’autre, sachant que dans les deux cas, il y a une considération de soi, et la considération de l’autre, c’est là qu’il y a une dimension philosophique qui me parait importante. C’est-à-dire que quand je fais pour l’autre, j’accepte de ne pas assumer mon point de vue, pour adopter le point de vue de l’autre, d’être dans un processus de soumission ou alors on peut avoir la soumission volontaire si on veut, mais je suis prêt à me nier moi-même.

De l’autre côté, quand je résiste, le bout du bout de cette résistance, c’est que je résiste, je ne veux pas accepter le point de vue de l’autre, et je cherche à lui imposer mon propre point de vue, donc d’une certaine manière je nie l’autre dans son point de vue

 

sur cet axe des X, on a d’un côté le pour d’un côté le contre, d’un côté, dans cet axe qui est conflictuel, la résignation, je vais faire pour l’autre, quitte à m’oublier, et je vais avoir ma satisfaction peut-être dans le fait de correspondre aux attentes de mon interlocuteur. Ou je vais le faire contre l’autre, et dans ce cas-là je vais être dans un profil avec une volonté de résistance, on est au-delà de l’assertivité, j’imagine, on est dans l’affirmation de soi
Dans l’affirmation de soi, qui peut passer par la négation active de l’autre. Si tu veux un schéma très caricatural, on est dans le maso d’un côté et le sado de l’autre, et qui peut aller très, très loin, c’est-à-dire qu’on peut littéralement se nier soi-même, ce qui peut avoir des actes comme, ça pourrait pousser au suicide ou à la démission ou à sortir, se mettre réellement en danger. Et de l’autre côté, mettre en danger l’autre, ça veut dire qu’on va l’anéantir pour préserver notre point de vue. On a des exemples dans l’actualité internationale qui sont assez clairs là-dessus.

Mais on voit que là, le paradoxe de ça, c‘est, on refuse l’interaction, on refuse d’être en relation avec quelqu’un d’autre.  Soit on refuse soi-même d’assumer son point de vue dans l’interaction, soit on va refuser que l’autre puisse avoir son point de vue dans l’interaction. C’est très binaire, et en définitive, on n’a qu’une seule solution, qu’une seule échappatoire, on ne crée pas de richesse finalement, il y a toujours un point de vue qui est plus fort que l’autre, et c’est ce point de vue là qu’on prend tel quel à la fin, et on ne garde, de manière caricaturale, plus rien de l’autre

 

c’est antinomique avec ce qu’on peut percevoir de la négociation, qui dans notre travail est un mode de décision partagé, où l’autre a la capacité de dire non mais c’est un mode de décision partagé, on va se mettre à deux pour avoir un accord, et on va coconstruire.  J’abandonne mon pouvoir de décision pour le remettre entre Benjamin et Julien, avec l’incertitude qu’on ait un accord ou pas, tu as la capacité de dire non et j’ai la capacité de dire non, et derrière on va coconstruire, et advienne que pourra
Déjà quand on cherche à coconstruire, déjà tu fais une place au point de vue de l’autre, donc ça veut dire que mon point de vue, je suis prêt à considérer que ce n’est pas le meilleur possible, peut-être, et pareil pour le point de vue de l’autre. Et là on rentre dans cet axe de faire avec l’autre. C’est-à-dire qu’on va prendre les différents points de vue, les différents enrichissements possibles, et on va faire avec, on va essayer de bricoler un point de vue qui est un intermédiaire entre les deux, dans le pire des cas, ou qui permet d’accéder à un objectif commun, à quelque chose de plus, qui est plus que la somme des parties

 

dans cet axe des Y que tu vas avoir sur ta boussole, tu as ce avec, ce sans. Est-ce que le sans, c’est comme ça que je l’ai compris mais je fais peut être une erreur, c’est cette notion qu’on retrouve dans la littérature sur la gestion de conflit qui est l’alternative, je vais faire sans l’autre, avec une option qui n’est pas à la table de la négociation, et avec, c’est que je vais prendre une option, en tout cas on va coconstruire un champ des possibles avec mon interlocuteur pour avoir un accord. C’est ça ?
Chercher une troisième alternative, c’est faire avec, c’est-à-dire que tu gardes la relation avec l’autre

 

c’est être en accord sur le désaccord
Oui, et parfois, cet accord sur le désaccord amène à une prise de conscience en disant, nos deux points de vue en fait ne collent pas, ne nous permettent pas de sortir de la situation, mais on peut ensemble chercher d’autres options. Ça, on fait encore avec, donc là la négo, c’est faire avec, avec toutes ses options.

Le faire sans, c’est sortir de l’interaction avec l’autre, c’est de se dire, quand j’analyse bien la situation, la relation insatisfaisante, le conflit, ne m’apportent rien, et ça serait une rupture de relation, mais une rupture qui est volontaire, qui n’est pas subie, c’est juste de dire, on n’est pas d’accord,  et on arrive à la conclusion qu’on ne sera jamais d’accord, mais non seulement ça, mais en plus, on n’a pas envie d’être d’accord

 

il n’y a pas cette intention d’être d’accord, il y a un désaccord même sur le désaccord
Soit il y a un désaccord sur le désaccord, et à ce moment il y a une sortie unilatérale, qui est de dire, je ne peux pas discuter avec cette personne-là donc je romps les relations et je vais faire ma vie de mon côté et lui de la sienne. Soit il pourrait y avoir un accord consenti qui est de dire, on se met d’accord, là c’est une partie du avec, et finalement, on accepte qu’il n’y aura jamais de solution satisfaisante pour nous deux à ce désaccord

 

 

 

 

ce n’est pas un peu déterministe cette temporalité de dire, on ne sera jamais d’accord ? Partons du principe que demain, il y aura une nouvelle information, un facteur exogène dans notre système, une innovation, un changement de paradigme, etc., qui modifie la donne du problème
On est d’accord, le toujours, on ne sera jamais, ça sera toujours limité et quantifié  à notre propre cadre de représentation au moment T, mais on pourrait dans ce cas-là faire une pause et se dire, pour l’instant on n’est pas d’accord, mais si les conditions changent, peut-être qu’on peut discuter de nouveau. Là tu restes dans le avec. Le sans serait de dire, je me rends compte dans ma carte, que je n’ai aucun intérêt à avoir un accord avec l’autre, c’est-à-dire que le sous-texte c’est, finalement je peux me débrouiller sans l’autre, je n’ai pas besoin de l’autre

 

c’est une forme d’indifférence à l’autre ?
L’indifférence est une forme là-dessus, qui va être dans la négation finalement de l’autre, et de dire, je m’en vais et c’est OK, on n’a pas besoin de se prendre la tête. Soit tu peux le faire de manière multilatérale, bilatérale, on se met d’accord pour se dire ciao, byebye, soit tu peux le faire de manière unilatérale, et là ça serait de l’indifférence, je ne préviens même pas l’autre, c’est juste de dire, ça ne m’intéresse pas. Et à ce moment-là ça veut dire qu’il n’y a plus d’interaction avec l’autre. Et c’est là, on me pose parfois la question, quelle est la différence entre un conflit dans une organisation et un conflit familial ? Dans le conflit familial, que tu le veuilles ou non, la personne sera dans ton arbre généalogique, tu auras toujours une interaction directe ou indirecte avec cette personne même si tu ne veux plus la voir ni parler avec. D’où l’intérêt plutôt de faire avec. Mais dans une interaction dans une organisation ou une interaction commerciale, tu peux très bien dire, on ne fera pas affaire ensemble basta ! Tant que ce n’est pas dans une optique de revanche, de se dire, pour le moment je n’ai pas assez de billes ou de pouvoir pour pouvoir l’écraser

 

Oui, c’est comme ça parce que c’est comme ça, c’est le dharma d’une certaine manière qu’on retrouve dans la philosophie hindouiste
Oui mais tu peux aussi le comprendre comme étant volontaire, un choix délibéré de la personne. Ce qui me semble intéressant dans une boussole comme ça, c’est de rendre les parties prenantes auteures de leur part dans l’interaction et pas simplement acteurs. Et là, quelqu’un pourrait dire, je fais sans parce que finalement je peux me débrouiller tout seul,  et s’apercevoir à postériori, se dire, non finalement ça aurait été mieux de continuer une interaction avec l’autre, et d’essayer de renouer une nouvelle relation.

 

au centre de tout ça,  tu as ce que tu as appelé cet état contrarié. Ça veut dire que quand on reste à l’intersection de ces 4 points, deux axes, on est sur cette notion d’état contrarié,  peut-être de l’immobilisme ? Qu’est-ce que je fais ?
Il y a l’immobilisme, et il y a qu’est-ce que je fais ? Tu as pointé les deux aspects. L’immobilisme, là au milieu, c’est de dire la situation actuelle telle que moi je la vis n’est pas satisfaisante pour moi. Et dans le cas du conflit, elle n’est pas satisfaisante pour moi à cause de l’intention malveillante de telle et telle personne. Tu peux décider de faire de l’immobilisme et de rester dans ta situation de conflit à toi, et te dire, là cette situation est pourrie pour moi, je déteste la vivre, mais je veux rester…

 

et peut-être que ça changera un jour
Voilà, et là , tu deviens acteur et même acteur passif en te disant, je suis en conflit, mais ce n’est pas de ma faute. Dans ce cas-là, si tu subis, que tu n’as pas de marge de manœuvre et que tu ne peux rien faire, tu ne veux rien faire, pourquoi tu te plains ? subis en silence

 

tu peux te plaindre dans le sens, endosser ce rôle de victime, parce que le bénéfice que tu vas aller chercher dans cet état contrarié, c’est quémander l’attention, la reconnaissance ou la considération des gens qui vont dire, c’est dur
Mais là tu es déjà en train de faire du pour, tu es déjà en train d’essayer d’avoir un impact sur l’autre

 

ou sur un écosystème tiers, neutre, qui est de dire, c’est dégueulasse ce qu’il a fait, tu es au centre de l’attention
Mais la neutralité sur cet axe-là, c’est d’essayer de le faire passer comme étant un allié

 

tu viens chercher un allié, un support via un tiers de substitution dans ton conflit
Donc tu essaies de voir ton rapport de force et de refaire ta cartographie des parties prenantes.

C’est aussi, comme tu le disais, et je ne sais pas quoi faire, c’est là où l’accompagnement est peut-être plus intéressant. Le but de cette boussole c’est de dire, tu es dans un état qui n’est pas satisfaisant pour toi, et tu ne sais pas quoi faire, et peut-être que tu aimerais bien savoir ce que tu pourrais faire

 

j’entends, et en même temps j’ai l’impression qu’à la lecture de ta boussole, le pour et le contre ne semblent pas du tout les meilleures options, en fait il me reste le avec ou le sans ? donc je ne sais pas quoi faire est plus dans cet axe que dans l’autre
Il est plus  dans cet axe-là si tu cherches à résoudre le conflit, et résoudre le conflit, c’est-à-dire qu’une fois qu’il y a eu une décision satisfaisante pour l’ensemble des parties, aucune ne va essayer de se venger, et donc satisfaisante pour toi, finalement il n’y a plus de conflit, le conflit a disparu, s’est dissout, il y a juste une interaction différente, mais qui n’est pas conflictuelle.

Sur cet acte pour/contre qui est un acte de gestion de conflit, qui reste conflictuel, on va toujours être dans un rapport de force, de pouvoir, d’influence, de ce que tu veux, ce qui veut dire que le balancier va passer d’un côté ou de l’autre, en fonction des ressources, des pouvoirs, de la temporalité, etc., c’est le croisement des courbes dans un conflit. Mais tant qu’on reste là-dedans, on reste dans une situation qui est insatisfaisante et finalement on nourrit cette insatisfaction en pensant que les actions qu’on fait vont pouvoir peut-être ou pas, stopper la situation à un moment. Mais quand je pose ça dans la boussole, c’est juste de dire, toi tu es au milieu, et voilà les directions que tu peux avoir, et évidemment il y a des directions qui sont intermédiaires, tu peux faire du sans/contre avec/pour, etc., tu as des subtilités, mais c’est juste de dire, ça, ça te permet de t’orienter dans les interactions que tu peux avoir. Et ce qu’on cherche là, finalement c’est, pour faire ça, ça oblige d’une certaine manière à clarifier la cartographie des parties prenantes, à clarifier les enjeux et les impacts, l’analyse de situation telle qu’elle est et telle qu’elle est pour l’autre, donc finalement clarifier un mandat, et de clarifier un objectif de, qu’est-ce qui pour moi serait le plus satisfaisant, compte tenu de ce que je peux interpréter, comprendre de la situation. Et c’est là où c’est un outil qui peut aider, il est gros de tous ces outils qui viennent autour, mais qui est juste de dire, si tu as identifié un conflit et que tu es capable d’identifier un conflit, voilà les différentes options qui peuvent s’offrir à toi, sachant que chacun peut avoir un bénéfice et des désagréments, des engagements, des conséquences, et libre à toi de t’orienter dans le conflit. Parce que ça peut être très intéressant pour une victime de rester victime, mais là elle le fait volontairement, elle assume sa position plutôt que de dire, moi je suis victime, mais si ça ne tenait qu’à moi, je ne le serais pas.

 

Généralement c’est dans la prise de conscience que c’est compliqué pour la victime de rester victime. Les victimes s’ignorent dans Karpman, inconsciemment
Oui et donc là, l’intérêt de l’approche que je défends de la résolution de conflit, c’est de dire, au bout du bout, comme position philosophique, c’est de dire que si les parties prenantes sont pleinement auteures de leur position dans l’interaction, alors on peut considérer que c’est un choix volontaire de prendre la position qu’elles ont. Tu peux avoir quelqu‘un qui est bourreau, quelqu’un qui est victime, quelqu’un qui est ce qu’il veut, mais il le fait volontairement, et c’est différent de le faire inconsciemment, que de dire, la position qui est pour moi la plus acceptable c’est celle d’être bourreau

 

Dans ce modèle qui semble simple de prime abord, mais qui est subtil quand on creuse, et ton livre le fait très bien, tu apportes une complexité supplémentaire, tu nous fais une double boussole dans la résolution de conflit. J’ai trouvé ça vraiment intéressant parce que tu mets au centre cette notion d’entêtement ou de contrainte ressentie, avec cette tension entre les deux, mais dans la lecture de ton ouvrage, c’est comme si je me disais, j’ai un truc sous les yeux qui est puissant, et je n’arrive pas dans ma lecture à le comprendre pleinement tel que toi tu as voulu l’écrire.  Peux-tu m’éclairer sur cette double boussole
Ça rejoint le fait que si on imagine une interaction conflictuelle entre deux personnes, entre toi et moi, dans cette dimension pour ou contre, donc soit je me soumets, soit je résiste, il y a une forme de faire trop ce qui ne marche pas, ce que j’appelle l’entêtement. C’est-à-dire que tu sais que ça ne marche pas, que ce n’est pas le bon point de vue, tu sais que l’autre résiste, et tu te dis, je m’entête à vouloir défendre ce point de vue là, vaille que vaille. Et en fait, cet entêtement est finalement le constat d’échec du comportement que la personne adopte dans l’interaction, je ne suis pas satisfait, parce que l’autre m’impose un truc que je ne veux pas, et finalement soit je me soumets de plus en plus, soit je résiste de plus en plus, donc ça cristallise les positions, on va arriver à du positionnisme, chacun campe sur son truc. Et plus l’autre fait un mouvement, plus la personne va renforcer sa position, donc on rentre avec des gens qui vont de moins en moins se parler, qui  vont être de plus en plus distants, et ça va être de moins en moins efficace (c’est la prophétie autoréalisatrice, tu crées les conditions de ton échec). Et ça, cette prédiction réalisatrice, c’est ce que j’appelle l’entêtement, et cet entêtement va ou peut provoquer chez l’autre, l’impression que c’est une contrainte. Donc plus tu t’entêtes, et tu sais que ça ne marche pas, donc c’est aussi insatisfaisant, plus l’autre peut l’interpréter comme étant une contrainte. Là aussi pour dire que finalement ce que toi tu interprètes comme une contrainte volontaire de la part de l’autre, peut être et peut être certainement une forme d’entêtement chez l’autre.

 

Pour plein de raisons. Ça peut être un biais d’engagement, tu te dis j’ai tellement parcouru que je ne vais pas lâcher maintenant,  il y a si peu à défendre…
Oui, et là tu as tous les biais qui vont savamment nourrir tout ça. Mais si on reprend l’exemple de départ, le commercial qui dit, pour bien me faire voir, il faut que je vende, que je signe beaucoup de contrats, et il s’est foutu ça en tête, et plus il signe de contrats, plus il a l’impression qu’il va être estimé. Donc il s’entête dans cette voie-là. Et quand il rencontre le responsable des opérations, celui-ci lui dit, en fait tu es en train de me dire qu’il faudrait que je double mes stocks alors que je ne peux pas le faire, donc tu es en train de me contraindre moi, sur un truc… et c’est là où on rejoint ce côté, l’enfer est pavé de bonnes intentions, c’est que là on peut s’apercevoir que sous un autre angle,  l’intention qu’on a a peut-être des conséquences qui sont très dommageables, et ça on peut en prendre conscience. Et l’intérêt de la boussole là-dessus et de la double boussole, c’est une invitation finalement à prendre un peu de hauteur, et d’imaginer les différentes interactions qu’on pourrait avoir, pour se rendre compte que celle de l’entêtement a peu de chance d’être satisfaisante, alors qu’une option de faire avec ou sans l’autre, a de bien meilleures chances d’apporter un résultat satisfaisant. Pour toi, et pour les autres, c’est là où on ouvre ces fameux objectifs communs, partagés, ces projets collectifs, ces actions conjointes, ce qui fait qu’un vrai collectif peut être beaucoup plus productif que simplement un individu, voire une agrégation d’individus

 

cet objectif commun, partagé, qu’on retrouve chez Fischer et Ury, nous on l’a dénommé légèrement différemment , par l’état final partagé, c’est la première chose sur laquelle on va se mettre d’accord, c’est quoi l’objectif final, qu’est-ce qu’on veut pour les deux parties prenantes

Exactement, et c’est là où ma proposition ne va pas à l’encontre des meilleures pratiques qu’il y a à l’heure actuelle dans le domaine, mais c’est peut-être une manière de l’éclairer un peu différemment

 

en fait tu apportes ton faisceau de lumière sur une discipline, avec son axe, sa colorimétrie, et ça en est vraiment intéressant. J’ai pris du plaisir, j’aime lire ce genre d’ouvrage, parce qu’il ne me laisse pas indifférent, il n’y a pas cette sensation de déjà vu. À certains moments on peut être d’accord, à d’autres un peu moins, ce n’est même pas le sujet sur ton ouvrage, forcément quand il y a quelque chose de nouveau, mais il oblige à réfléchir et à penser la discipline légèrement différemment, et des fois ce n’est pas grand-chose, c’est un pas de côté, et ce pas de côté tu te dis, c’est intéressant,  je ne l’avais pas vu comme ça
Sur ce travail que tu as fait, il y a quelque chose que j’ai oublié de souligner, qui te tient vraiment à cœur ?
On a abordé les trois points qui sont ceux que je voulais mettre en avant dans l’ouvrage. Une certaine définition du conflit, la distinction entre la résolution et la gestion de conflit, me semble importante. L’outil que je propose avec la boussole. Et il y a une approche philosophique de l’ouvrage au sens de remettre au centre les personnes comme étant décisionnaires à leur niveau, dans l’interaction. Et il me semble que c’est quelque chose qui est important pour moi dans la résolution de conflit telle que je la défends,  c’est-à-dire que quand j’interviens sur des conflits, ce n’est pas mon conflit, c’est le conflit des personnes, et je suis là pour les outiller, les aider, les éclairer, les accompagner, mais  il me semble que la meilleure résolution de conflit qu’on puisse avoir, c’est que les personnes soient satisfaites de la décision qu’elles ont prise collectivement, dans l’interaction. Et il y a un deuxième point qui me parait important…

 

tu peux avoir une personne qui n’est pas satisfaite je pourrais avoir une interaction avec quelqu’un qui vit, je l’ai rencontré sur un dossier, quelqu’un qui était dans un conflit et qui ne vivait qu’à travers le conflit, qui avait été licencié il y a 20 ans et qui 20 ans après continuait à avoir une activité nocive pour l’entreprise, avec l’animation d’un blog et des écrits qui étaient vindicatifs. Donc il vivait de ce conflit, de cette reconnaissance qu’il pouvait avoir avec les personnes qui partaient depuis sur l’entreprise, l’entreprise n’avait qu’une seule envie, c’est de faire sans mais c’est compliqué de faire sans si l’autre te marque avec l’autre ( ?)

C’est là où il y a toute la technicité derrière. Là on parle du modèle général, et évidemment on ne peut pas simplement décréter soi, le point de vue de l’autre. Ce que j’entends, c’est l’organisation aimerait que l’autre fasse sans

 

ça peut être tout simplement de dire, je coupe les ponts, j’arrête là, je me casse et on ne se revoit plus jamais , donc tu fais sans. Et toi tu dis, je ne suis pas du tout d’accord,  on va continuer à se voir, je vais continuer à vous pourrir, à impacter votre réputation
C’est là où ça détermine aussi le champ d’action possible d’une personne. Si elle a le pouvoir de te contraindre à rester dans la relation, ça veut dire que finalement la cartographie des pouvoirs de la personne a peut-être mal été faite. Ça ne veut pas dire que ce soit simple, facile, et que c’est une option qui paraisse nécessairement évidente dans l’analyse de la situation, mais ce que je pense, c’est qu’au bout du bout, s’il reste de l’insatisfaction, alors à un moment donné, il y aura de la revanche. C’est un point qui ouvre sur les conséquences et les impacts de la relation conflictuelle, qui est de dire, qu’est-ce qu’il se passe le coup d’après la résolution du conflit ? Et de se dire, tu prends un conflit international, qu’il se termine d’une manière ou d’une autre, qu’est-ce qu’il se passe après ? Et poser ça, c’est poser aussi l’intention que la personne a dans le conflit, et qui permet quand tu fais la double boussole aussi, de pouvoir imaginer postuler le mandat de l’autre, l’intention de l’autre.

 

pour finir le podcast, si le Benjamin d’aujourd’hui rencontrait le Benjamin juste avant qu’il commence à écrire son livre, quel conseil lui donnerais-tu ?
Le conseil que je me suis donné, je pense, à ce moment-là, était, tu ne peux pas tout faire dans un bouquin. Et le parti pris que j’ai là, était de poser le cadre conceptuel, avant tout, avec cette ouverture sur les outils, parce qu’à l’origine je voulais développer beaucoup plus la partie de cette boussole là, mais ça ne sert à rien de faire un bouquin qui fait 800 pages, où ce ne sont pas les mêmes publics, les mêmes intentions, les mêmes usages. Après, il y a un effort qui a déjà été fait sur essayer d’être clair dans les idées, mais il y a encore un travail à faire à ce niveau-là, pas de vulgarisation, mais de lisibilité, ça je peux entendre que ça reste conceptuel

 

c’est ce que je te disais en retour, il y a un choix, un parti pris qui est fait, le choix d’avoir quelque chose de conceptuel est intéressant parce qu’il amène une subtilité, et une nuance, en tout cas moi c’est comme ça que je l’ai perçu. Ton écrit apporte énormément de subtilités, de nuance, et de recul, je ne vais pas dire sur notre discipline, parce que c’est plus large que la négociation, mais tu pars vraiment de résolution de conflits, donc je pense que c’est aussi bien applicable à des médiateurs, à des avocats, à des gens qui veulent faire de l’arbitrage, à des coaches, on est vraiment sur la famille large de la résolution de conflit. Ça apporte, ce côté conceptuel, à un public, je pense, initié, un regard intéressant, et forcément le pendant de ce sujet, et c’est une fois de plus ma perception, c’est qu’il me semble moins accessible à un public non initié, ou moins de paires sur notre sujet
Ça je l’assume, et j’assume aussi de travailler à un ouvrage qui est plus là sur l’usage de cette boussole et de ce que ça implique, quelque chose de plus pratique, et peut-être plus ?? mais qui présuppose d’avoir déjà posé ce cadre général qui est fait dans ce livre. Comme tu le soulignes, je pense que mon intention est aussi de nourrir et de susciter un débat sur ces questions-là, justement pour les subtilités et sortir un peu des recettes toutes faites que l’on peut trouver parfois sur la résolution de conflit, la négociation, etc., et qui est de dire, si tu ne maitrises pas toutes les subtilités du bagage derrière, c’est juste que tu vas faire un massacre, tu vas chasser le moustique avec du bazooka. Par contre quand tu sais bien les utiliser, oui, tu te dis, c’est de la vulgarisation, mais d’un outil qui se manie quand même.